L’Eunuque mange son pain et boit son café
Il y a un vieux poêle au milieu de la salle que les services sanitaires ont demandé de taire. Il embaumait la pièce et crépitait comme les mots d’une veillée au coin du feu. Il chauffait terrible aux premières heures de la journée et Eugène, en hiver, ne le ranimait qu’en début d’après-midi. Nous arrêterons ici l’histoire de Gaubert et de son bar, car L’Eunuque vient d’entrer. Le vieux apprécie l’homme. Un jour, il est arrivé ici, avec sa demie baguette et il a commandé un café. C’était il y a tellement longtemps que Eugène ne se rappelle plus du son de sa voix. Presque chaque jour, il vient et Gaubert lui sert un café. L’Eunuque mange son pain en lisant son journal. Le patron du bar aime ce moment lorsqu’ils ne sont que tous les deux. C’est un instant de grande tranquillité qui le repose des bavardages et de la bêtise innommable de ces autres clients. Ceux qui savent tout sur tout et qui inondent la planète en faisant déborder le fleuve de leur connerie. Gaubert est persuadé que si l’homme silencieux vient ici, à cette heure, c’est pour y trouver le calme. Ce n’est pas pour son café, car même Eugène le trouve dégueulasse.
L’Eunuque est entré un matin, comme il en existe tant d’autres. Le visage marqué par des coups qu’il avait, semble-t-il, reçu, mais aux traces de sang qui avaient rougit ces poings laissait à penser qu’il en avait aussi donnés. Gaubert a viré deux trois ivrognes afin qu’un calme d’église participe au repos du guerrier.