Les amazones.

Publié le par L'Eunuque

Cet épisode N°150 des aventures de Berth L’Eunuque a eut du mal à être publié. Je n’accuserai pas l’informatique, ni internet car je suis le seul fautif. A trop vouloir l’exception, je suis resté stupidement en panne. J’ai du abandonner l’écriture de cette nuit, pour ne reprendre que maintenant. Si cela peut me faire pardonner, sachez que cet épisode est exceptionnellement long.

Bonne journée à tous.

Berth.

« Celle-qui-n’a-pas-de-nom » parlait enfin. Ces paroles silencieuses avaient contribué à son épanouissement. Comme si le bouton de rose qui demeurait en elle, n’attendait qu’un rayon de soleil pour s’ouvrir au monde. Pour « Celle-qui-n’a-pas-de-nom », Berth n’avait pas de mot pour la décrire. Elle était silencieuse, certes, mais complètement impliqué dans le clan. C’est pourquoi Anuqiak avait désigné sa fille pour garde malade auprès de l’étranger. Il était certain que sa présence seule participait à la guérison des malades. La fille du chef dirigeait et s’occupait de Berth, dans son pèlerinage au pays des siens.

— Je te présente Yhochiok.

Un jeune garçon, qui souriait tout le temps vint se caler dans les bras de l’étranger. Berth compris qu’il était déficient mentalement. En voyant la jeune fille faire des gestes, il la mima en riant.

— Yhochiok est en fait un oiseau. Lorsqu’il était bébé, un volatil est passé au dessus de lui et a trouvé qu’il était magnifique. Alors, cet oiseau a voulu devenir un « être humain ». La mère de Yhochiok a vu l’oiseau se poser à côté de lui, et elle a vu que les deux ont échangé leur esprit. L’oiseau est devenu un « être humain » et le bébé est devenu un oiseau. Cela arrive souvent. Les oiseaux font constamment ce genre d’échange. Mais Yhochiok, une fois devenu oiseau, trouvant sans doute qu’il y avait plus d’avantages est resté à cette place, il a condamné le volatil à être enfermé dans ce corps humain. Yhochiok, c’est un oiseau dans une enveloppe humaine. Tu trouves, sans doute, que c’est une vision trop simple de la vie ?

— Elle ne manque pas de poésie.

— Si tu restes avec nous, tu le verras sans doute parler avec les oiseaux car ce sont les seuls qui le comprennent.

Berth l’arrêta dans sa promenade.

— Et toi, que penses-tu de mon envie de rester parmi vous ?

— Je ne peux pas avoir d’avis sur tes envies. C’est impossible. Les raisons de tes choix t’appartiennent. Si tu restes, j’en serai heureuse, bien sûr. Si tu repars, je garderai un souvenir impérissable de toi. Tu seras celui qui a fait sortir de ma tête des mots par l’intermédiaire de mes mains. Tu vois, tu avais tes raisons de m’apporter ce savoir et tu n’as pas douté de me l’enseigner.

— J’ai cru que te l’enseigner pourrait te rendre plus heureuse.

— C’était très prétentieux et malvenu que de croire que je n’étais pas heureuse. Les choses étaient ainsi. Les mots ne sortaient pas de ma bouche et les bruits du dehors ne m’atteignent pas. Dois-je pour autant être malheureuse ? Yhochiok doit-il être malheureux d’être un oiseau ?

— C’est ce qu’on m’a enseigné et j’ai vécu jusqu’alors avec l’idée que c’était vrai.

— Et ce n’est plus vrai aujourd’hui ?

— Oh, aujourd’hui est peut-être le premier d’une nouvelle vie, avec le poids de celle qui vient de mourir.

— Nos mondes sont vraiment différents.

Berth fit une moue affirmative.

— Oui. Et j’ai dans l’idée qu’il en existe des milliers de par le monde tout aussi différents.

— Et ces mondes là t’appellent, cela se voit dans tes yeux.

— Pas toi ?

— J’ai une autre envie. J’ai envie que ce soit eux qui viennent me visiter, me parler, me montrer leurs différences. Tout comme toi tu es venu jusqu’ici pour me parler du tien.

— Si vous remontez plus au nord, il y a peu de chance que d’autres moi, viennent vous visiter.

— A contraire, dans le nord, nous entendons mieux, nous comprenons mieux. C’est un endroit où tous les esprits du monde se rencontre.

Elle arrêta de bouger les mains, pour le regarder avec tendresse.

— Apprendre notre langue ne suffit pas. Les mots ne font pas tout. Sans doute trahissent-ils plus qu’ils ne révèlent. Si Yhochiok est un oiseau, qui y a–t-il d’enfermé à l’intérieur de toi ?

Berth haussa les épaules.

— Un ours ?

Les yeux de la jeune fille se remplirent de malice.

— Et bien, je commence à comprendre tous tes tourments. Il n’y a pas assez de place pour un ours là-dedans.

 

La glace qui recouvrait L’Inuka avait fondu et celle qui le tenait prisonnier, le libérait peu à peu depuis que Monsieur Joseph avait rallumé les chaudières. La première évacuation de fumée des cheminées, avait noirci les neiges immaculées environnantes au grand désespoir de Madame Véronique pour cette pollution.

— Alors expliquez-nous comment faire, avait demandé Joseph avec un ton aimable que lui seul maîtrisait.

— Je sais que vous ne pouvez pas faire autrement, mais laissez-moi en être désolé.

— Vous comprenez, j’y mettrais bien de la neige à la place du charbon. Auquel cas, il nous faudra des rames.

— Je vous dis que je comprenais.

Puis, voulant changer de conversation, elle hâla le Capitaine à l’autre bout de la table.

— Capitaine, est-ce vous qui avez baptisé ce bateau de ce nom : L’Inuka ?

— Bien sûr Madame.

— Et d’où vient-il ?

— De quelque part dans mon cerveau.

— Oui. Bon. Vous ne voulez pas le dire ?

— Peut-être n’y a-t-il rien à dire ?

— Il faut toujours vous prier.

— Tout ce mérite dans la vie. Je suppose que vous ne couchez pas le premier soir ?

— Mais enfin…

— Je vous demande pardon. Je voulais juste vous faire comprendre que votre question, qui à vos yeux, ne mériterait pas tant de mystères, pour d’autres, moi en l’occurrence, peut se révéler très intime.

— C’est vrai. Je suis à mon tour désolée.

Le Capitaine alluma sa pipe.

— Mais, vous m’avez séduit, alors je vais vous le dire.

— Et bien, on vous séduit facilement.

— Je ne suis pas farouche.

Boubacar sortit de son silence.

— Vous avez l’intention de tout lui dire Capitaine ?

— Ne le demande-t-elle pas ?

Boubacar se leva.

— Et bien, je préfère me retirer.

— Vous faites bien, votre pâleur maladive donne un ton grisâtre à votre peau qui casse un peu l’ambiance de cette soirée.

Et l’Africain s’en alla. Véronique, pour le coup sentait que le Capitaine l’avait manipulée en la faisant insister, de cette façon, elle ne pourrait pas se plaindre plus tard. Le Marin commença son récit.

— Madame, j’ai voyagé, vous n’en douterez point ? Et je suis un homme. La mer nourrit son homme, mais le frustre dans ses ardeurs et ses envies. C’est pourquoi, lorsqu’il rentre au port, la première chose qu’il cherche une fois sur la terre ferme… un bar, pour boire une bonne bière. Un jour, dans un petit port Portugais, le bar où j’avais l’habitude d’aller, avait bruler. Alors, j’ai repris la mer, pour un autre port. La deuxième chose est évidemment les femmes…

— Je vous arrête et vous donne de suite mon sentiment sur l’exploitation humaine.

— Pas la peine, j’ai déjà reçu tous les messages possibles, tous les discours sur la dignité, l’honorabilité, l’amour propre. Le désir de sexe des hommes les aveugle, dans un premier temps et les culpabilise ensuite. J’ai connu une femme qui faisait un métier honorable. Elle passait ses journées à genoux à nettoyer des cuvettes de chiottes, la tête quasi dedans. Je l’ai vu même gratter, avec l’ongle de son pouce, des restes de merde qui avait durci. C’était un métier honorable puisqu’elle n’était pas exploitée sexuellement, donc homologué par les féministes. Je ne vais pas les opposer à celles qui travaillent dans certains bordels qui puent la viande de marin avariée. L’idée de départ était de parler de L’Inuka. Il serait bon que vous ne m’interrompiez pas.

La fumée, du tabac de sa pipe, stagnait au dessus de sa tête.

— J’étais marin, pas encore Capitaine, je naviguais sous les ordres d’un vieil anglais d’origine Irlandaise qui parlait mieux le Gaëlique que sa propre langue. Nous naviguions dans la Baie du Bengale, faisant commerce avec l’Inde, la Thaïlande et la Birmanie. Il y avait une ile, très connue des marins du monde car mystifiée par la plupart, entretenant une légende qui parlait d’une tribu, essentiellement composée de femmes qui avaient, paraît-il, un appétit sexuel féroce. Une seule de ces femmes ne pouvait être rassasié sans l’aide de plusieurs hommes. Elles n’étaient pas craintives, bien évidemment. C’étaient des femmes généreuses, dans tous les sens du terme, autant par leur grâce que par l’affection qu’elles pouvaient vous porter. Des bouches fines prétendent qu’elles étaient obèses. Moi, je dirais que c’étaient des femmes à étages, qu’il vous fallait explorer un à un. Chaque pli renfermait des parfums doux et épicés à la fois. Vos mains étaient perdues au milieu de tout ça, n’ayant jamais parcouru autant de peau humaine. Elle n’étaient pas farouches, certes, mais quelque soit la prétention que vous affichiez avec l’une d’entre elle, c’était un contrat que vous deviez respecter. Sinon, car il y avait un sinon, vous encouriez certains risques. Dont une, qui n’était pas des moindres : une émasculation brutale et publique. Je ne plaisante pas. Monsieur Mc Gregor notre Capitaine nous ayant prévenu du danger, nous laissait quartier libre. Pour ces femmes, nous étions des proies qu’il fallait séduire, pour ce faire, elles venaient nous chasser, telles des amazones, dans nos repères de débauche. Je ne me méfia point et fut l’un d’eux. Pour ma part, je juge avoir été à la hauteur, mais sans doute pas celle attendu, car je fus capturé, emmené de force dans leur tribu et attaché au pilori où l’on venait sacrifier les attributs des mâles déficients. Je vous passerai les détails sur la technique qui prenait plusieurs jours et qui était terriblement douloureuse. Je fus donc préparé pour le début du sacrifice, nu comme un ver, humilié en place publique, enguirlandé de décorations tel un sapin de Noël. Une matrone, plus vieille que les autres, que j’identifiais comme pouvant être mon bourreau, chassa, à l’aide de poudre de perlimpinpin, les esprits qui auraient pu me venir en aide. Elle harangua l’assistance des amazones de je ne sais quoi, ne comprenant pas la langue, comme si elle demandait si quelqu’une voulait de moi au lieu du sacrifice. Mon sort allait être adjugé, lorsqu’une voix puissante tonna de derrière la foule qui manifesta son étonnement et qui s’écarta pour laisser passer celle qui me voulait. Mon Dieu, même de loin elle était énorme. Une boule de deux mètres de haut, qui malgré tout se déplaçait avec aisance, non sans faire trembler la terre à chacun de ses pas. Là, je vous jure que c’est vrai, j’ai préféré l’amputation, car au-delà du déshonneur, je restais en vie. Mais, contre ça, au premier rapport amoureux je n’échapperai pas à la mort. Elle répondait au charmant prénom de Lila. Elle m’a porté jusqu’à sa case, lieu ultime de mon trépas. Comme j’étais déjà nu et elle aussi, elle décida que nous nous y mettions de suite. Elle se mit dans une position qui était celle qu’elle devait préférer et moi je regardais cette montagne ne sachant par quel versant l’attaquer. Mais voilà, j’étais jeune et reposé, j’avais une nouvelle chance de revenir entier alors je l’entrepris, deux, trois, quatre heures durant et enfin, alors que j’allais abandonner, le sexe et le moral en berne, elle eut un orgasme terrifiant. Un rugissement comme aucune bête sur cette Terre ne saurait rivaliser. Un pan de sa case s’écroula. Les oiseaux dans les arbres partirent et ne revirent jamais. Une vieille dans une des cases mourut d’une crise cardiaque. J’eus les tympans vrillés et des acouphènes toute l’année durant. Alors, un groupe de femmes investit l’alcôve, m’entrainant dehors pour me porter en triomphe. Il y eut des chants et des danses. Mon amante se reposait dans sa case, dont les ronflements arrivaient à couvrir la musique et je fus libéré.

Véronique s’essuyait les yeux à cause des larmes que le rire avait provoquées, mais elle demanda cependant une précision.

— Donc, L’Inuka, c’est quoi ? Le nom du village ? De la tribu ? D’une des femmes ?

— Lorsque j’ai acheté ce bateau il portait déjà ce nom. Je ne sais fichtre pas d’où cela peut bien venir.

— Mais, pourquoi me raconter toute cette histoire alors ?

— Oh, une envie soudaine. Je ne saurais vous expliquer.

— Vous êtes un vieux pirate lubrique…

Véronique se tus en voyant passer dans le réfectoire, Isabelle en jupe longue, la mèche rebelle coupée, le visage légèrement maquillé.

— Et bien, c’est pas trop tôt, souffla Lafayette, j’en avais marre de faire semblant de croire que Yannick était un garçon.

— Quelqu’un d’autre est au courant ?

— Tous le monde, Madame, tous le monde.

— Ma, pourlkoi, Yannich, il a mit oune robe dé femme, demanda Emilio ?

— Bon, d’accord, pas tous le monde. Oh putain, ça ne va pas être facile de lui expliquer à celui-là.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
<br /> Encore rien ce matin! alors j'en ai profité pour relire l'orgasme de l'amazone et la "mise à mort" de Berth et ça m'a rappelé "les flamboyants" un prix Goncourt de Patrick Granville(je crois) même<br /> démesure ...<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Oui, du retard à cause d'un emploi du temps chargé. Je suis en décalage. J'espère me remettre dans les bonnes traces rapidement.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Que ce soit fait exprès ou non, il y a comme une dédicace dans ce texte :D Je t'en remercie de plus que j'adore cet épisode, vraiment !<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Merci à vous de vous en êtes aperçu. Comme quoi, vous n'êtes pas si déficient mentalement que ça.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Trois parties en un seul épisode, vous nous gâtez !<br /> J'aime beaucoup l'histoire de l'échange avec l'esprit de l'oiseau. Celle de l'orgasme terrifiant m'a fait sourire.<br /> Et je suis ravie de "voir" Yannick Isabelle en fille...<br /> En fait j'aimerais la voir vraiment.<br /> Mais au moins, chacun peut imaginer la sienne. :)<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> L'empreinte de Yannick est telle aujourd'hui, qu'elle n'est pas encore redevenue tout à fait une fille. Il faudra attendre.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> J'avais une toute autre vision des amazones !<br /> <br /> Et la narration du capitaine est exubérante, baroque ... Elle m'a bien plu dans son outrance ! (c'est une critique positive)<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Je la prend comme telle, car je n'ai jamais reçu, venant de vous, de critiques négatives. Soit je suis naïf, soit je suis trop prétentieux pour croire que je n'en mérite aucune, soit vous êtes<br /> généreux.<br /> <br /> <br /> <br />