Un moment d’inattention, tant attendu

Publié le par L'Eunuque

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( — Rappelez-vous, les préparatifs. La grande salle était en effervescence. Les serveurs passaient et repassaient pour remplir les tables et les agents de sécurité étaient déjà dépassés car ils devaient vérifier chaque passage. Ils ont fini par attendre que tout soit fini pour contrôler ensuite l’installation…)

Berth inspecta, lui aussi, à sa façon. Il regardait dans les endroits impossibles ce qui agaçait la responsable locale du MI6.

— Vous pensez vraiment que quelqu’un est caché derrière les rideaux ?

— Vous avez vérifié ?

— Non, de même que je n’ai pas regardé sous les tapis, mais je vais le faire. Vous m’avez convaincu. Maintenant si votre attention concernait les fenêtres, la façade est lisse et personne ne peut arriver par celles-ci, nous sommes au troisième étage. Les rideaux masquent les vitres afin qu'aucun tirs ne puissent venir de l'extérieur. Qui plus est, les fenêtres seront condamnées afin que le nouveau système de climatisation soit efficace. Sans vous donner d’ordres, peut-être devriez-vous aller chercher Mère Theresa ?

Elle tira violemment sur les rideaux après avoir vérifié que les fenêtres furent closes. Berth fit un OK de la tête et sortit de la pièce. Dans les escaliers Wellington l’interpella, il était tout sourire et accompagné.

— Berth, je voudrais vous présenter un ami qui est de passage avec son épouse et qui me fait le plaisir et l’honneur de me visiter. Il s’agit de Lord Charles Harding, sa femme Lisbeth est avec Margareth. J’ai décidé de bousculer quelque peu l’organisation en les invitant tous deux ce soir.

Berth tendit la main à un homme distingué, sans doute plus âgé que Wellington.

— Monsieur, dit tout simplement Berth.

— J’ai refusé plusieurs fois, mais l’insistance de Patrick a été efficace.

( — C’est là que vous m’avez saoulé avec vos histoires de safari.

— Voilà pourquoi je ne pouvais soupçonner Harding. C’est moi qu’il l'ait invité avec sa femme et au dernier moment.

— Ne le prenez pas mal Wellington, mais vous êtes, pour certaines choses, terriblement prévisible.

— Vous auriez pu me l’éviter celle-là, je me sens suffisamment coupable d’avoir introduit le loup dans la bergerie.

— C’était un ami, vous ne pouviez pas ne pas l’inviter et il le savait très bien. Cela ne se fait pas dans votre monde. Qui plus est, c’est un Lord, il a des droits, qu’il ne fait sans doute pas valoir, mais que vous avez respecté…)

 

Ensuite, les deux lords se sont dirigés dans la salle où aura lieu la cérémonie.


Berth se trouvait devant une Mère Theresa hésitante. Elle l’avait fait venir dans cette petite pièce qui lui servait lieu de recueillement, comme si elle avait à lui confier des choses plus intimes que secrètes.

— J’hésite encore à y aller et pourtant je sais que je ne peux pas ne pas y aller.

— Faîtes vous porter pâle.

— Vous me proposez de mentir ?

— Je ne vous propose rien. Par contre vous, vous avez quelque chose à me demander. Je sais que vous ne m’avez attiré dans votre « confessionnal » pour me faire des confidences.

— Qu’en savez-vous ?

— Je sais surtout que vous savez que je m’en foutrai comme de ma première couche.

— Puisqu’il faut aimer quelque chose chez tout le monde, c’est ce que j’aime chez vous. J’ai toujours eu, moi aussi, ce franc parlé mais j’ai eu la hardiesse de croire, pour ne pas dire la prétention, que je pouvais m’en servir pour dire les choses telles qu’elles doivent être dites.

— Et ce n’est pas le cas ?

— Il y a les paroles que l’on peut exprimer en privé et celles qui peuvent être dites en public. On m’a remis le prix Nobel, il y deux ans et j’y ai fait un discours principalement dirigé contre l’égoïsme de ce monde et l’avortement. Je ne vous le referai pas ici. Ce discours n’était pas bon.

— Vous regrettez ces paroles ?

— On ne peut regretter que les paroles, car si elles s’envolent, nous pouvons toujours les rattraper un jour. Je ne regrette pas mes actes. Voyez-vous ce mot écrit sur le mur, c’est de l’Albanais, ma langue natale. Cela dit : « Si le jour de mon jugement, je me tiens devant le Seigneur et qu'il me demande : “ L'aurais-tu fait différemment ? ” Je répondrais : “ Mille fois, je le referais de la même façon”. »

Berth n’eut pas envie de méditer là-dessus. Cependant, revivre une vie à l’identique lui paru terriblement triste.

— C’est donc à cause de ce discours que vous ne voulez pas aller à cette représentation ?

— Voyez-vous, monsieur Berth, je ne regrette pas mon discours sur l’avortement, je regrette de l’avoir mal exprimé et forcément de l’interprétation qui en a découlée. Maintenant autour de moi, il n’y a la fureur des combats entre les pours et les contres, et ils me fatiguent. Je croyais que parler à un plus grand nombre à la fois pouvait faire avancer les causes. Je me rends compte que c’est faux. Aujourd’hui, les gens ne viennent me voir que pour que je me justifie sur ce que j’ai dit. Tans pis pour moi.

— Je ne vois toujours pas ce que je peux y faire.

— Vous avez été employé pour me protéger d’un éventuel attentat auquel je ne crois pas, mais je vais être agressée une bonne partie de la soirée par toutes sortes gens. C’est de ceux-là que je veux être protégés. Gandhi disait : « La force ne résulte pas des capacités physiques, mais d’une volonté infaillible ». Ce soir, je crains ne pas avoir assez de force parce que je sens ma volonté faible.

— Je ne pourrais pas être près de vous toute la soirée…

Elle baissa la tête. Elle semblait déçue.

—… mais, si vous avez besoin d’un épouvantail qui vous éloigne les oiseaux de mauvais augure, j’ai quelqu’un qui fera l’affaire.

 

( — Mais, pourquoi Le Chacal ? fulmina Wellington. Cet homme a été…

— Efficace.

— Ignoble ! Il a été ignoble.

— J’ai vu plusieurs fois la religieuse rire aux éclats.

— Alors, c’est qu’elle se drogue, ce n’est pas possible autrement.)

 

Il y eut les discours des uns et des autres. Berth savait qu’il ne se passerait rien à ce moment-là, ni pendant la remise du prix. Il se glissait entre les invités, qui tous avaient les yeux rivés en direction du petit promontoire sur lequel se trouvaient Lady Diana et Mère Theresa.

En arrière de la foule, Charles Harding, discrètement, piochait dans les plats. En voyant Berth s’approché, il eut un sourire complice.

— J’ai terriblement faim et je m’ennui à mourir, dit-il. Comme tout le monde semble captivé par ces longs discours, j’en profite pour dérober quelques sandwich.

— Je crois que vous n’êtes pas le seul, j’ai cru voir plusieurs serviteurs faire de même.

— Ils ont l’habitude de ce genre de soirée. Ils savent sur quoi se porte l’attention et certainement pas sur eux. Patrick m’a confié qu’il y avait des menaces sérieuses d’attentat sur la princesse, et bien, si j’étais le meurtrier, je me tiendrais derrière ces tables.

— Il faut être un bon tireur pour atteindre sa cible à cette distance.

— Mais, je suis bon tireur, se vanta le Lord. Cependant avec un fusil, pas avec un révolver. Et je vous l’accorde, réussir à entrer ici avec un fusil est impossible.

— Vous croyez la chose impossible ?

— Oui, Mais tout système de sécurité à sa faille. Et croyez-moi, en matière de protection des individus, c’est toujours la même.

— Laquelle ?

— Le moment d’inattention.

( — J’ai su à ce moment-là que c’était lui. Je savais qu’il allait le faire, avec quoi et quand. Il fallait que j’attende le moment d’inattention.

— On ne peut pas être « attentif » à un moment « d’inattention ». Ce moment est imprévisible et aléatoire.

— Alors, il faut le provoquer.

— Ça y est, je commence à comprendre.

« C’est pas trop tôt, pensa Berth ».)

 

 

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S
<br /> Et si l'assassin des 2 femmes que je déteste, c'était moi ...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Vous seriez mauvais tireur car il me semble qu'elles sont mortes des années plus tard et à quelques jours près.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Tout plein de suspens comme j'aime ! Dis donc, ça te réussi ces épisodes en falshback, et moi de lire trois épisodes de suite :)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Bonne lecture.<br /> <br /> <br /> <br />