Berth sent la bête

Publié le par L'Eunuque

Une autre nuit ou un autre matin, plus personne ne savait, Berth se réveilla. La Lune brillait encore dehors. Elle éclairait la fenêtre et devant celle ci, Isabelle, nue qui regardait au dehors. Elle semblait figée. Berth descendit de son lit et alla rejoindre son amie avec sa peau d’ours, souple et soyeuse, qu'il déposa sur ses épaules blanches. Isabelle frissonna, mais regardait toujours au dehors, comme hypnotisée.

— Il fait froid dans cette pièce, tu vas attraper la mort.

Elle le regarda. Son visage exprimait une immense tristesse.

— Je me demandais, dit-elle, si je sortais comme ça, combien de temps je pourrai tenir ? Cinq, dix minutes ?

— Dans ces eaux là, oui.

— Peut-être que c’est encore ce qui serait le mieux.

— Pour mourir, le mieux c’est d’attendre la fin de sa vie. Et il te reste des années magnifiques à vivre.

— Qu’en sais-tu ?

— Je le crois. Je l’espère pour chacun de nous ici. Tu es une fille magnifique, intelligente avec beaucoup d’humour et des milliers d’autres qualités qui font que la vie qui s’ouvre devant toi ne pourra qu’être magnifique.

Elle regarda à nouveau dehors.

— Alors pourquoi, certaine nuit, comme aujourd’hui, cette idée de mort m’obsède ? Je suis vraiment attirée par cette envie de me retrouver nue au milieu des glaces acceptant cette mort.

— Isabelle, cette mort ne serait pas douce. Le froid commencerait à te bruler la peau, pire encore que le feu. Chaque respiration déchiraient les alvéoles de tes bronches, rempliraient tes poumons d’eau. Puis, les extrémités de tes membres commenceraient à se solidifier, mais ce n’est pas encore la mort. Et peut-être, qu’à un moment donné tu ne voudrais plus, mais le retour serait impossible et…

— … et tu me sauverais ?

Il la prit dans ses bras.

— Disons que je préfère te sauver maintenant, c’est beaucoup moins froid.

— Tu ne seras pas toujours là.

— Oui, c’est vrai.

Elle contrôla un premier sanglot.

— Je n’arrive plus à lutter contre ces cauchemars. Elles viennent chaque nuit me chercher, elles me supplient de les suivre ou de les libérer, je ne sais trop rien.

— Qui donc ?

— Les poupées.

— Tu pourrais m’en dire plus.

Elle secoua la tête.

— Pas ce soir. Je ne peux pas lorsque je sens leurs présences. Elles sont là, tu sais ? En ce moment, elles me regardent.

— Elles me regardent aussi ?

— Oui. Et c’est étrange, elles acceptent ta présence.

— Alors peut-être que je peux leurs parler ? Savoir ce qu’elles veulent ? Leur demander de…

— … Oui, enfin non, pas ce soir, ça me fait trop peur.

— Je vais dormir avec toi.

Elle essuya ses yeux, comme rassurée par cette alternative.

— D’accord, mais pas avec la peau du machin.

— Il est chaud pourtant.

— Ouais, mais il pue.

— J’ai un peu peur que ce soit moi qui pue.

Elle le renifla non sans sourire.

— Oui, c’est toi qui pues.

L’odeur de Berth ne l’empêcha pas de s’endormir. Elle avait su trouver une position qui ne risquait pas de toucher les blessures de son ami. Berth lui caressait le visage ce qui le décontracta petit à petit. Qu’y avait-il dans cette petite tête qui la torturait tant ? Les poupées. Ces terribles poupées qui la visitaient, voulaient l’entrainer avec elles, et qui acceptaient la présence de Berth. Ce dernier se les imaginait, comme des êtres vaporeux, des fantômes et s’en étaient puisqu’elles hantaient le territoire des rêves d’Isabelle. Demain, pas dans une semaine, il devra l’obliger à lui parler de tout ça. Il ne sera pas toujours là, comme elle l’avait compris, mais au moment de se quitter, il faudra que ces poupées soient rangées définitivement sur les étagères de la mémoire oubliée.

 

Berth était en avance au petit déjeuné. Il n’avait pas dormi en fait. Il trouva Véronique, un bol plein de café devant elle et un livre à la main.

— Vous êtes matinale, dit-il.

— Vous aussi.

Elle lui fit signe de s’asseoir et lui montra la cafetière.

— Vous avez réussi à convaincre Lafayette de vous faire du café.

— Non, il dort encore. Je l’ai fait moi-même.

Elle ferma son livre pendant que Berth se servait. L’endroit était silencieux.

— Je voulais vous parler, justement, dit-elle enfin.

— Ça tombe bien, moi aussi.

— Ah !

— Mais vous d’abord.

— Voilà. Je sais pour votre… camarade de chambrée.

Le jeune homme bu quelques gorgée du liquide chaud et amer, plus amer que ne le fait l’Africain. Son silence invitait Véronique à plus de confidences.

— Et pourquoi me le dites-vous ?

— Je ne sais pas. Peut-être pour me rapprocher de vous, je veux dire de vous deux. Vous êtes deux personnes à part au sein de cette expédition et je me sens plus proche de vous que des autres. Alors, le fait de partager ensemble ce secret pourrait…

— Pourrait avoir l’effet inverse escompté.

— Vous croyez ?

— Isabelle (c’est son prénom) attache une importance capitale au fait que personne ne sache que c’est une femme. Alors, que si l’équipage le savait, ce serait pour eux le cadet de leur soucis.

— Mais alors pourquoi tout ce mystère ?

— Je n’en sais rien, mais je respecte ça.

— Cependant, elle vous l’a dit à vous.

— Non, je l’ai découvert par hasard. Un peu comme vous sans doute.

Les deux trempaient leur nez dans leur bol.

— Je crois qu’elle vous apprécie parce que, comme elle vous êtes énigmatique.

— Réservé serait plus juste.

— Non, énigmatique. Et vous ne vous étonnez de rien.

— Ah si, j’ai été très étonné par un ours dernièrement.

— A peine. L’ours est un bon exemple. Vous n’avez pas eu peur.

— Qu’en savez-vous ? Vous n’étiez pas là.

— Alors dites-moi ? Dites-moi si vous avez eu peur ?

Berth haussa les épaules.

— Sur le coup, on n’a pas vraiment le temps d’avoir peur.

— Exact. C’est après surtout, lorsqu’on prend conscience à côté de quoi on est passé que la peur nous bouffe, nous étouffe. Mais vous, rien. Vous n’avez pas peur parce que vous vous êtes dit que comme vous vous en étiez sorti, il n’était plus temps d’avoir peur. A moins que l’idée même de la mort ne vous effraye pas.

— Lorsqu’on a mon âge, on pense à la vie avant tout. Le boulevard qui se présente devant nous est plutôt long.

— Berth, quelques jours auparavant on vous a retrouvé dans le ventre d’une baleine.

— Elle était morte.

— C’est ce que je dis, vous ne vous étonnez de rien.

— Vous me trouvez naïf ?

— Oh non. Certainement pas… mais bon, laissons cela. Vous aviez quelque chose à me demander ?

— Oui. Pourriez-vous m’apprendre quelques rudiments de la langue Inuit.

— Ce n’est pas une langue facile.

— Il paraît que je suis très intelligent.

— Que comptez-vous en faire ?

— Parler avec un Inuit, quelle question.

Elle ramassa ces affaires.

— J’ai mieux que ça dans ma chambre. Suivez-moi.

Elle se retourna sentant qu’il ne la suivait pas.

— Ne faites pas la pucelle effarouchée, vous avez survécu à un ours, vous survivrez à votre pudibonderie.

— Un ours, maintenant je sais ce que c’est. Vous par contre, je vous connais moins.

— Mais vous êtes un… salaud, dit-elle en riant.

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B
<br /> Quelle personnalité vous avez en effet!Vs avez su trouver les mots et l'attitude justes auprès d'Isabelle, lorsqu'elle était hantée par ses poupées. Une perspicacité rare fait de vous une personne<br /> de remarquable je suis d'accord avec Véronique. ;)<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Ah, la solidarité féminine, les femmes sont souvent d'accord en elles lorsqu'il s'agit des hommes. Berth est-il quelqu'un de remarquable ? Un ours avait remarqué qu'il ferait un magnifique repas.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Les poupées d'Isa sont-elles gonflables pour que Berth ne soit plus insensible ?<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Lorsque vous verrez la gueules des poupées, vous trouverez ça moins érotique.<br /> <br /> <br /> <br />