Inch Allah, mon fils !

Publié le par L'Eunuque

Vendeuse

 

— Vous savez que vous n’avez pas le droit d’être ici, dit une voix douce mais autoritaire derrière Berth.

Il ne se retourna pas car il savait à qui elle appartenait.

— Si vous saviez le nombre de fois qu’on m’a dit ça dans ma vie.

Mother India vint le rejoindre à côté du lit où se trouvait Kamala. Elle dormait.

— Vous voulez savoir si elle va s’en sortir ?

— J’ai l’impression que oui. Cet endroit est fait pour, il me semble.

— Nous faisons de notre mieux, mais lorsque j’ai créé ce lieu, c’était surtout pour accueillir des mourants et pour les accompagner dignement jusqu’à leur mort. Mais, vous avez raison, elle va s’en sortir. Elle va aller mieux, jusqu’à ce qu’elle se mette à nouveau dans des situations qui feront qu’elle ira mal.

— Je suis un mauvais moralisateur. Elle fera comme d’habitude sans jamais suivre les conseils de personne.

— Lui en donnez-vous, seulement ?

— Je n’ai de conseils à donner à personne.

— C’est une forme de lâcheté. Je viens d’avoir Wellington au téléphone, il m’a raconté tout ce que vous avez fait pour récupérer cette gamine. Vous pensez pouvoir faire ça toute votre vie concernant Kamala ?

— Je ne réponds pas aux questions qui n’en sont pas.

— Ce n’était pas une question, vous avez raison. Vous seul décidez qui mérite que vous vous battiez pour lui ou pour elle. Et se battre est un doux euphémisme par rapport à ce que vous faites vraiment.

— Si c’est Wellington qui vous raconte « mes exploits », sachez que les trois quarts du temps il n’était pas là pour le voir et que je ne raconte jamais rien, alors le tenez pas compte de ces affabulations.

La religieuse passa la main sur le front de la gamine. Elle sembla satisfaite de la température.

— Il n’a pas eu besoin de me raconter, je lis très bien en vous. Le livre de votre cœur est grand ouvert. Ce qui est sans doute un paradoxe car de part votre attitude on pourrait croire cela verrouillé à jamais.

— D’accord, bonne lecture, alors.

— Je vous ai vexé ?

— Vous êtes à la limite de m’emmerder, mais vexé, non.

Elle écarquilla les yeux et s’asseye dans une position d’attente d’explications.

— Et bien, je suis curieuse de savoir ce qu’il peut bien y avoir au-delà de cette fameuse limite. Des coups, sans doute ? Des corps étalés sur le sol ? Du sang, peut être ?

— Cela fait partie de la recette.

— Non. Tout cela est faux.

— Pourtant, c’est souvent ce qui se passe.

— Avant de vous « emmerder » définitivement… d’ailleurs, à ce sujet, vous n’êtes pas obligez d’être plus grossier avec moi qu’avec d’autres. Je disais donc, que vous n’êtes pas qu’un gros lourdaud qui aime frapper, mais je pense que vous avez décrété que la seule distance valable qu’il y a entre deux points, c’est la ligne droite…

— C’est la plus courte, en tout cas…

—… et que tout ce qui se mettait sur votre chemin pour vous empêcher de passer subissait votre courroux.

— Je leur laisse cependant le choix. S’ils font pour la plupart le mauvais, personne ne peut m’en vouloir. Croyez bien que je préfèrerai qu’ils s’écartent de ma route, car je prends autant de coups que j’en donne. Être résistant aux coup, ne veut pas dire qu’on ne les sent pas.

La religieuse secoua la tête.

— Je ne peux accepter cette façon de faire.

— C’est votre idée et je ne veux en rien vous convaincre qu’elle moins bonne que la mienne.

Elle se leva.

— Certes, mais vous allez être mon « accompagnateur » durant quelque jours et je ne peux pas accepter de personne que l’on se batte à cause de moi.

— Je pourrai (et ce n’est pas sûr) me battre contre des gens qui vous veulent du mal, mais pas à cause de vous. Puis, j’ai mon idée concernant les menaces qui planent au dessus de vous : je pense qu’elles ne sont qu’une diversion, donc, que vous ne risquez pas grand-chose et par conséquent que je ne risque pas de me battre pour vous.

— J’en suis fort aise, mais pas pour autant convaincue ni rassurée.

— Inch Allah.

— Oui, Inch Allah mon fils.

Elle s’en retourna.

La respiration de la jeune fille avait un tout autre rythme. Cela annonça son réveil.

Elle ne compris pas où elle se trouva d’abord, puis elle se rappela : les religieuses, la nourriture, les soins… Elle regarda son ami et une grosse larme coula le long du visage.

— Je te demande pardon Berth. Je suis tellement désolée.

— Il ne faut pas. Tout ça, c’est déjà loin derrière.

­— Je… je tuerai ce type. Un jour. Bientôt.

— C’est bien que tu sois en colère, ça prouve qu’il te reste des forces pour vivre. Mais n’envisage aucune vengeance sans la mort assurée que tu rencontreras. Puis, c’est toi qui as fait les premiers pas qui t’ont menée jusqu’ici.

Elle se cacha le visage avec l’avant bras, comme pour dissimuler une honte.

— Il y a tellement de filles là-bas. Des filles qui meurent.

— Je sais ma puce.

— Et il faut aujourd’hui que je vive en étant heureuse de l’être sous prétexte que tu m’en ais sorti ?

— Personne ne te demande rien.

— Peut-être que je pourrai te demander à toi…

— Je ne peux rien faire.

— Je ne peux pas accepter l’idée de vivre parce que j’ai eu la chance de tomber devant toi un jour, à Delhi, et que tu m’as prise sous ton aile.

— Tu n’as pas toujours eu de chance, alors acceptes cette providence.

— C’est un lourd fardeau.

— C’est le tien, fais en ce que tu en veux. Portes le où laisse le sur le bord de la route.

— Et tu viendrais encore me chercher ?

— Peut-être. Si je le peux. Je n’aurai pas toujours de la chance.

Elle tourna la tête vers le couloir où s’agitaient quelques religieuses dont l’un d’elle invectiva sévèrement le visiteur indésirable.

— Monsieur, il faut partir maintenant.

— Je m’en vais.

Et à Kamala :

— Je reviens te voir demain.

Mais elle ne répondit pas.

En sortant du dispensaire, Berth marcha durant quelques minutes. Il devait retourner au consulat pour récupérer son passeport. Les rues encore détrempées étaient animées par toutes sortes de commerces éclairés par des lampes à pétrole. Il s’agissait de rattraper une journée catastrophique au niveau des ventes. Cela semblait être bien partie car il y avait une foule d’Indiens en quête de produits. Berth décida qu’il mangera dans le quartier. Il aimait la cuisine indienne. Celle contre laquelle on se bat à cause de la force des épices. Il bifurqua brusquement dans une petite échoppe mais au lieu d’entrer à l’intérieur complètement, il attendit juste à l’entrée. Son bras droit sortit brusquement au dehors pour happer tel un caméléon une proie. Sa main se referma solidement sur une épaule et il tira le tout à lui. C’était un petit homme, un Européen. Il portait des lunettes épaisses et était habillé avec des fringues que personne ne voudra jamais porter.

— Ça fait une demi heure que vous me suivez. Alors, votre nom et pourquoi vous me collez au train et vite.

— Je m’appelle Georges Chacal et putain, je t’emmerde ducon.

Berth jugea que c’était une putain de bonne réponse.

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S
<br /> Berth sait parler au 2ème sexe : ferme avec Térésa et doux avec Kamala !<br /> <br /> Le Chacal revient ... Est-ce que ce sera bon pour le récit ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Le Chacal permettra surtout à L'Eunuque de se taire. Il est fatigué de parler.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Peut être qu'à ma petite échelle, j'ai connu un Berth, et une Thérésa...<br /> C'est votre phrase : "Le livre de votre cœur est grand ouvert. " qui m'y a fait penser.<br /> <br /> Ma Théresa s'appelait Fatima, et Berth était Michel, un gros dur bien placé dans ce monde.<br /> <br /> Alors que les gens en général se faisaient tout petits devant lui, elle, la petite bonne, ne s'est pas démontée, et lui a dit : "Toi, tu es un grognon, mais j'ai pas peur parce que le coeur je le<br /> vois il est bon."<br /> <br /> Merci d'avoir réveillé ce joli souvenir.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Les brutos on le cœur tendre, c'est bien connu. Je ne parle que de ceux dont la brutalité ne s'exprime qu'envers ceux qui l'ont cherché.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> AAAAAAAH !!!!! Le retour !!!! (enfin plutôt l'arrivée mais j'me comprends) il en fallait pas plus ce soir ! :) très bonne soirée, et merci de la surprise !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> J'avais envie de le sortir du placard et de le dépoussiérer.<br /> <br /> <br /> <br />