Jaipur : une ville à l’eau de rose

Publié le par L'Eunuque

Palais des vents

 

Dans le Rajasthan, les villes sont associées à une couleur. Agra la blanche, Jodhpur la bleue, Jaisalmer la dorée (ou jaune) et Jaipur la rose.

Jaipur est moins mouvementée et moins bruyante que Delhi. Il est d’ailleurs conseillé aux touristes, dont c’est le premier voyage dans ce pays, de quitter l’agressivité de la capitale et de se rendre directement dans la Toulouse du Rajasthan. Arrêtez-vous pour boire un thaï épicé de cardamome et de chili. Si votre bouche est en feu, ouvrez une mangue en croquez à pleines dents sa chair douceâtre. Le jus coulera le long de vos lèvres, puis de votre cou.

— Monsieur Ary, êtes-vous sûr que c’est ainsi qu’on mange ce fruit, demanda Margareth ? Le jus me colle de partout désormais.

— Madame, les gens mangent comme ça ici.

Patrick Wellington avait vu le liquide sucré s’immiscer entre les seins de sa future (qui n’avait pas donné de réponse car il était indécent de le faire trop tôt). Il dut contenir son envie d’aller récupérer le jus entre les seins de Margareth, qu’il n’avait jamais vu aussi belle, en se moquant d’Herbert qui bataillait avec des couverts.

— Herbert, soyez un peu plus sauvage, attrapez cette mangue à pleine main.

Herbert rouspéta.

— Je ne sais quelle mouche vous pique, tout deux (et surtout vous Margareth). Mes précepteurs ont tellement souffert à m’enseigner quelques pauvres rudiments pour parfaire mon éducation, que je ne peux leur faire cet affront. D’autant que certains en sont morts de désespoir.

Il planta violemment dans le fruit avec la fourchette, que celui-ci, ayant sans doute marre d’être martyrisé, s’échappa de l’assiette pour s’enfuir par la fenêtre.

— Je n’ai jamais vraiment aimé les mangues, de toute façon.

Il regarda distraitement au dehors.

— Quel est donc ce monument déjà ?

— Le Palais des vents, répondit Ary. Le Maharadja de Jaipur avait fait construire ce paravent de pierres, afin que toutes ses femmes puissent circuler à l’intérieur sans être vues. Elles profitaient ainsi de l’animation de la rue et, les courant d’air qui y circulent, vous ventilent et vous rafraîchissent.

— Pouvons-nous le visiter, s’enthousiasma Margareth ?

— Bien sûr, répondit Ary.

Herbert alluma une cigarette et eut un mouvement de recule.

— Moi, je reste là car j’ai trop envie d’une bière. Vous me ferez des coucous quand vous y serez.

Le couple traversa la rue, accompagné de Berth. Tout en restant discret, le Français préférait jouer un rôle de garde du corps. Il redoutait une nouvelle vendetta du flic véreux d’Agra. Bien que cela soit improbable étant dans une autre ville et sur un autre territoire.

En entrant par la porte de côté du palais des vents, les deux anglais échangèrent un premier coucou avec Herbert qui s’en foutait déjà. Berth préféra attendre dehors. C’était la seule issue. Non loin de lui, un marchant de fruits ambulant, l’appela :

Viśāla (géant), vient ici à l’ombre, sinon tu vas mourir.

— Dhan'yavāda (merci).

— Connais-tu que ce mot, ou parles-tu Hindi ?

— Je parle Hindi.

 

Il faisait chaud dans les couloirs qui montaient vers la façade du Palais des Vents. Mais une fois là-haut, les courants d’air ventilaient l’intérieur et il y faisait moins chaud. La moindre brise qui s’engouffrait par les ouvertures faisaient un bruit d’enfer. On se croirait en pleine tempête.

Margareth essayait de comprendre ce qu’une Maharani pouvait bien ressentir en venant ici.

— Ces femmes n’étaient pas libres, dit-elle enfin.

— Elles étaient riches et enviées par beaucoup d’autres qui vivaient dans la misère.

Patrick regardait cette femme qu’une multitude de petites taches de lumières rouges, venant du dehors en passant par les interstices de la façade, rendait étrange.

— Qu’y a t-il, Patrick, vous semblez pensif.

— Vous êtes vraiment… très belle… vous devriez libérer vos cheveux.

— On pourrait me voir.

— Rappelez-vous que c’est impossible. Je suis donc le seul et je béni ce privilège, oh oui, je le béni.

Il l’embrassa. Sa bouche sucrée sentait encore la mangue.

— Patrick, je ne veux pas que vous vous moquiez de moi. D’autres l’on fait, vous savez ?

— Je les retrouverai et les pourfendrai tous avec mon sabre.

— Je suis sérieuse.

— Alors, ne le soyez plus, vous n’en avez plus besoin. Je suis là désormais. Pour vous.

Elle ne pu s’empêcher de rire.

— Nous parlons comme dans un livre à l’eau de rose. Je n’ai même pas honte d’en être l’héroïne.

— Nous sommes dans une ville à l’eau de Rose. Quant à moi, j’ai honte de ne vous avoir aussi bien vu.

— Vous m’avez laissé vieillir.

— Vous êtes de ses fleurs qui ne flétrissent jamais.

— Vous êtes ému, Patrick. Votre poésie est terriblement naïve, mais grand Dieu que je la trouve savoureuse.

Ils s’embrassèrent à nouveau.

 

Patrick interpella Berth.

— Nous aimerions, Margareth et moi rentrer de suite à l’hôtel… et… heu… sans qu’il soit utile d’en informer Herbert.

— Où est-elle ?

— A l’intérieur. Elle éprouve quelques gênes. Ne vous moquez pas d’elle.

Berth fit signe à un taxi qui déboula comme un fou. Le conducteur est Sick. Des fenêtres de son véhicule, s’échappaient de la fumée d’encens.

Margareth arriva enfin.

— Vous êtes pâle, madame, dit Berth. Peut-être qu’il serait bon que vous rentriez.

— C’est ce que je vais faire, dit-elle sans être dupe de la manœuvre.

Elle entra dans le taxi.

— Votre tact est digne d’un gentleman anglais, glissa à voix basse Patrick.

— Amusez-vous bien.

— Ça, par contre, ça l’est moins.

Berth claqua la portière.

— J’ai un ami à voir et je vous retrouve en début de soirée. Ary va s’occuper de Bromfield. Il va lui faire faire la tournée des bars.

— C’est une bonne idée.

Le taxi démarra. 

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P
<br /> Je ne m'attendais pas à trouver de l'eau de rose ici. Vous me surprendrez toujours, et ça fait bien sûr partie de votre charme. :)<br /> Ce palais des vents est une vraie merveille. Je suis heureuse d'avoir la photo, je n'aurais pas pu imaginer ça autrement.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Cette photo m'aide bien aussi car le monument est difficilement descriptible. Une histoire à l'eau de rose était bien évidemment un clin d'œil au genre et un hommage à cette magnifique ville.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Foua que c'est beau, encore un truc que je veux voir en vrai... la photo m'attise !<br /> Et le texte est très bien ficelé :) en forme toi dis donc !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ouais, ça va plutôt bien en ce moment. J'ai la main chaude et l'esprit en fusion.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Je me souviens bien du palais des vents et ta photo a réveillé ma mémoire, mais ici maintenant, il faudrait plutôt un palais de la chaleur ...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oh que oui ! Parler de la chaleur de l'Inde dans cette froideur hivernale est assez malsain.<br /> <br /> <br /> <br />