L’impasse, perd et gagne…

Publié le par L'Eunuque

La vieille

 

Berth et Patrick prirent un taxi. Le retour fut silencieux. De la fatigue avec un zest de confusion pour le Lord, de l’ennui pour l’Inuit de Delhi. Berth avait baissé la vitre de la portière. Il était assis à côté du chauffeur et il regardait au dehors. Agra ville morte à 3 heures du matin. Des gens allongés sur le trottoir, endormis ou mort, va savoir ? Ces gens allongés, plongés la tête à l’envers dans leur rêve, reposent le corps et puisent l’énergie dont ils auront besoin demain, pour faire de la ville du Taj Mahal, un mouvement anarchique sans pause, jusqu’à ce que le sommeil les prenne à nouveau. Ainsi jusqu’à la fin du monde.

Berth paya et les deux hommes entrèrent dans le palace. Margareth était assise sur un des canapés du grand salon, droite comme une statue égyptienne et éveillée, ce qui n’était pas le cas du préposé à l’accueil. Elle se leva sans précipitation, afin, sans doute, de ne pas montrer l’impatience qui l’avait rongée depuis qu’elle avait appelé Berth. Debout, elle se tenait plus droite encore, ne pouvant dissimuler une certaine fierté à être à l’origine de la remise en liberté de ce Lord qu’elle admirait et détestait secrètement.

L’improbable couple resta planté l’un en face de l’autre, sans décrocher le moindre mot. Berth, quant à lui, était allé réveiller le planton afin de lui quémander plusieurs cocas. Margareth parla la première.

— Vous me devez 500 dollars.

— Il semblerait que je vous doive plus encore.

— Payez vos dettes d’abord. Quant à ce fameux reste, il vous incombe de l’évaluer. Je vais, pour ma part, aller me coucher. Bonne nuit Patrick.

— Bonne nuit Margareth.

Il s’inclina légèrement, jusqu’à ce qu’elle lui tourne le dos pour aller rejoindre un des ascenseurs.

Berth revint avec au moins quatre petites bouteilles du breuvage américain.

— Je crois qu’elle était inquiète pour vous, finit par dire Berth.

— Je m’en veux pour ça. J’ai beaucoup d’affection pour elle et je ne pense pas que je mérite toute l’attention qu’elle me porte. Pensez-vous qu’elle soit amoureuse de moi ?

Berth fit une moue, qui s’en accorder un désintérêt à la question, lui donnait peu chance de réponse de sa part.

— Je ne suis par expert en la matière.

Patrick Wellington attrapa l’une des bouteilles de coca et la bue d’un trait. Cela lui occasionna une remontée de gaz et le fit roter magistralement.

— Va falloir que j’évite ce genre de choses, désormais, dit-il en riant.

— Ce n’est pas très class.

— Je vais demander la main de Margareth demain.

— J’ai bien fait de ne vous donner aucun conseil.

— Mon ancêtre a gagné la bataille de Waterloo principalement sur l’instinct et une chance de cocu. Seuls les vainqueurs écrivent l’histoire. Celle-ci est un mensonge qui est cru par tout le monde. Si je deviens célèbre, j’écrirai dans mes mémoires que c’est dans un élan instinctif que j’aurais demandé la main de Margareth. Je tairais l’épisode de la veille dans les geôles d’Agra. Je ne parlerai pas de vous, c’est évident.

Berth leva son verre de coca.

— A vos ancêtres, alors.

— A la Reine.

Ce toast fit sursauter le planton de l’accueil qui s’était rendormi.

 

— C’est quoi cette histoire d’emprisonnement, demanda Ary ?

— Rien. Une connerie.

— Tu devrais plus souvent dire des conneries, ça te rendrait plus humain.

— Bon, il est encore loin ton cousin « escroc vendeur de voiture » ?

— N’insulte pas la famille, c’est un homme qui a réussi dans les affaires. Mais, à bien y réfléchir, il a toujours eu du mal avec la législation en vigueur. N’est pas juriste qui veut. Certes, nul n’est censé ignorer la loi. Mais, sommes-nous tous en mesure de la comprendre ?

Il désigna une ruelle.

— On va passer par là, c’est plus rapide.

Ils s’engagèrent sur cette voie comme on passe derrière le décor.

Pour résumer l’Inde, d’aucuns vous diront : L’Inde, c’est les couleurs du saris des femmes. Les chaleurs extrêmes autant au-dessus de vos têtes que dans votre bouche. L’Inde ce sont les parfums subtils qui se fourvoient au milieu des odeurs fortes qui vous font craindre le pire. Le regard noir des Indiens. La bouille souriante des enfants qui lancent sur votre passage : « Hello, one roupie », sans trop savoir ce que cela peut bien vouloir dire, sans espérer recevoir la moindre pièce. C’est comme un jeu, un jeu de rue. L'Inde, c’est aussi les maisons vétustes sur les marches du perron desquelles on a déposé une vieille qu’on rentrera le soir, si elle est encore vivante. Elle ne dit rien la vieille. Elle ne vous regarde même pas lorsque vous la croisez. Elle s’attend sans doute à ce que, d’un moment à l’autre, ce karma pitoyable, qu’elle a endossé à sa naissance, la quitte enfin, afin de passer à autre chose. Pourvu que cela soit meilleur. Rien n’est moins sûr.

La ruelle, incurvée en son centre pour laisser passer les eaux usées (la merde, quoi), qui par endroits stagnent afin de solliciter, de vos estomacs malmenés, quelques renvois rances. La ruelle, donc, fut obstruée à une vingtaine de mètres de Berth et Ary par deux hommes armés de gourdins.

Ary, après s’être arrêté eut pour projet de faire demi-tour.

— C’est inutile, il y en a trois autres derrière, dit Berth sans se retourner.

Ary vérifia.

— Et ça fait longtemps que tu le sais ?

— Nous sommes suivis depuis l’hôtel.

— Et tu ne pouvais pas le dire ?

Berth envoya aux hommes armés un sourire narquois.

— Ici, c’est bien, continua le Français.

— Bien pour mourir ?

— Pour savoir ce qu’ils veulent.

— Nom du Dieu Shiva ! Ce qu’ils veulent, bordel, c’est briser tous nos os. Tu as vu la taille des gourdins ?

— Ce n’est pas tant la taille qui importe, mais ce qu’on fait avec.

— C’est ce que je dis aux femmes que je débauche, mais là, je ne suis pas sûr que ma libido intéresse ces tueurs…

Ceux de devant chargèrent. Ary ferma les yeux, voulant ainsi jeter voile pudique sur toute cette violence urbaine gratuite. Les cris de la bataille ne lui firent pas changer d’attitude. Mais n’ayant reçu aucun coup, il s’aventura à ouvrir un œil. A terre, devant lui, quatre hommes étalés dans la bouillasse merdique, ayant quelque p eu du mal à se relever, et un cinquième que tenait à bout de bras son ami. Berth avait souffert, lui aussi, de cette rixe. A en voir l’arcade et le nez sanguinolents.

— Je sais qui t’envoie. Tu lui diras que je viendrai lui rendre visite un jour, dit Berth un peu essoufflé.

Il le lâcha et alla rejoindre Ary afin de continuer leur promenade. Ary était pâle et il regardait étrangement Berth.

— Tu es sûr que ça va bien, Berth ?

— Je n’irai pas jusque là, mais compte tenu des circonstances…

Ary, tout en marchant, jetait des regards discrets en direction du dos de Berth. Plus il regardait, plus il était blême.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, finit par demander Berth agacé ?

— Berth, tu as un couteau planté dans le dos.

Les deux hommes s’arrêtèrent.

— Ah ! C’est donc ça…

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D
<br /> Comment ai-je pu rater cet épisode ? Merde !<br /> En tout ca merci pour les références "l'histoire est un mensonge cru par tout le monde"...<br /> :) bonne soirée !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> On se le demande encore.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Le couteau le gratouillait ou le chatouillait ?<br /> <br /> A part ça, tu as fait un excellent résumé de l'Inde.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je crois que cela lui faisait plutôt mal, mais qu'il pensait que c'était un simple coup reçu.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Il exagère l'autre, à garder les yeux fermés sans rien faire.<br /> Et du coup on sait pas comment s'est passée la bagarre. :(<br /> A part ça j'adore le flegme de Berth.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oh vous savez, la castagne, c'est toujours pareil.<br /> <br /> <br /> <br />