La fin (faim) du tigre
— Et pourquoi m’aideriez-vous ? demanda Berth.
— Parce qu’apparemment, tu n’as rien à faire ici. Tout ceux qui sont là, ont choisi de l’être. Ils ont choisi la révolution comme moyen de faire entendre leur voix. Ils veulent aider les peuples à lutter contre les oppresseurs. Le discours peut paraître usé. Mais il est important que ceux qui dominent les faibles sachent que ça ne peut plus se passer aussi facilement.
— Remplacer une domination par une autre.
— Nous ne cherchons à dominer personne, mais à rétablir un équilibre juste.
— Au début, certainement, comme ce pays l’a fait. Puis ça finit par des camps de la mort comme celui-ci. Les gens qu’on enfermait ici pour les tuer à petit feu, n’étaient les ennemis de personne en particulier. C’était des gens simples, du peuple. Il y avait sans doute de tout. Des criminels, des artistes, des gens qui pensaient différemment. Vous voulez aider les faibles ? Alors, ils deviendront forts à leur tour et comme ils ne connaissent que ce qu’on leur à fait subir, ils se transformeront en oppresseurs et ainsi de suite. Les révolutions sont fabriquées par des intellectuels et au final ce sont les peuples qui souffrent.
Elle applaudit pour se moquer avec un large sourire.
— Ne faisons rien, les choses finiront bien par s’arranger. Mon père disait aussi cela et les anglais l’ont tué lors d’une manifestation pacifique.
— Alors maintenant, vous voulez tuer de l’anglais ou tout ce qui peut être assimilé comme tel à travers le mode.
— Je ne veux tuer personne, mais je n’ai pas peur de tuer. Ce que j’apprends ici, c’est de passer outre cette peur. J’apprends à ce que mes sentiments propres ne dominent pas la cause.
Berth applaudit à son tour, mais sans sourire.
— Je suis d’accord au moins sur un point.
— Lequel ?
— Je n’ai vraiment rien à faire ici.
— Tu as tout à fait le droit de continuer à te balader, à courir après les papillons, à croire que le monde est beau et que les gens sont gentils.
— Et vous, vous avez tout à fait le droit de penser ce que vous pensez et je n’ai certainement pas envie de vous prouver le contraire. Chacun fait selon ce qui lui semble juste si j’ai bien compris ?
— Toi, tu ne fais rien.
— Je suis en mouvement et pour l’instant, je n’ai aucune prétention. J’avance avec humilité, je m’imprègne de ce qui m’entoure. Je ne comprends pas forcément tout, mais je n’ai pas d’arrogance.
— Il te manque peut être du courage ?
— Berth le lâche. Celui qui n’est pas un homme, dans le sens qu’il n’a de virilité. Si vous saviez que tout ceci est inutile face à la nature. Avoir des grosses couilles, ne peut que vous ralentir lorsque vous marchez dans la neige.
— Nous sommes nous aussi dans le mouvement.
— J’appelle ça de l’agitation. Vous apprenez à ne pas avoir peur de tuer, alors réfléchissez à l’idée qu’il y a quelqu’un, dans le monde, d’innocent, qui n’est pas contre vous, qui n’est qu’un enfant et qu’une de vos actions « juste » finira par tuer. Il est là, quelque part et vous allez le tuer. Marcus a l’air d’aimer les citations de Gandhi, alors méditons ensemble sur celle-ci : « Je suis près à mourir pour une cause que je pense être juste, mais aucune ne justifie que je tue pour elle ». C’est un vieux marin, un capitaine, qui me l’a servit un jour.
Leur joute fut interrompue par des exclamations de voix. Ils étaient une dizaine, regroupés autour d’un onzième que les autres semblaient félicité et admirer.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mary à Youri qui passait par là.
— C’est Emilio qui revient de la chasse.
— Merde, ne me dit pas qu’il en a tué un autre ?
— Je ne te le dis pas, mais il semblerait que se soit le cas.
Mary marcha d’un pas prompt et apparemment en colère. Berth la suivit. Elle écarta le groupe violemment, ce qui en agaça certains, et Berth pu voir ce qui suscitait autant d’intérêt que de colère. C’était un tigre blanc, qui venait d’être abattu. Un jeune mâle. Mary se fit mal en frappant au visage le chasseur Basque Espagnol. Celui-ci valdingua deux mètres en arrière. Il se releva pour lui foncer dessus, mais les autres arrivèrent à le retenir.
— Mais tu es folle ! vociféra t-il.
— Tu n’es qu’un… pauvre type.
— Ça va, Mary, intervint Dimitri, c’est qu’un putain de tigre à la con.
Berth était accroupi près du tigre.
— Il est encore vivant, ce tigre. Vous feriez mieux de l’achever tout de suite, si toutefois vous avez un tant soit peu de courage.
— Toi, l’Esquimau, tu fermes ta gueule, hurla le Basque.
Marcus arrivait.
— Qu’est-ce qu’il y a ici ?
— Emilio a encore fait le con avec les tigres, résuma la jeune femme, dont ma colère et l’indignation lui faisait ravaler ses larmes.
— Et cette saloperie de bestiole est encore vivante, fit remarquer Dimitri.
Marcus la regarda de sa hauteur, sortit son pistolet et l’acheva. La détonation fit sursauter tout le monde.
— L’incident est clos, désormais.
— « L’incident » ?! mais… essaya de renchérir L’Irlandaise.
— Tu fais chier, Mary, j’ai dit que l’incident était clos. Quant à toi, Emilio, fait encore le con et je veillerai personnellement à ce que tu serves de pâté pour tigre.
— Personnellement ?! se moqua le Basque en le défiant du regard.
— Non, Emilio, ne joue pas à ça. Tu sais que je suis beaucoup plus fort que toi et surtout, beaucoup plus malin.
Emilio avala sa salive, il puait la peur.
— Maintenant, débarrasse-moi de cette merde.
Berth était toujours accroupi. Pendant que les deux hommes s’étaient affrontés, il avait récité, à voix basse, une litanie que lui avait appris son père Anuqiak. Celle-ci était à peine terminée que le tigre fut tiré par les pattes arrière en laissant derrière lui trainée de sang. En ce relevant, le regard du Français croisa celle de Mary.
— Tu as certainement quelque chose à redire à cela ? lui dit-elle sur un ton violent.
— Je ne suis pas responsable de votre colère. Prenez-vous en à cet abruti d’Espagnol.
— Je ne suis pas d’accord avec ce qui vient de se passer.
— Et vous n’êtes pas responsable.
— Ça te donne raison, c’est ça ?
Berth préféra s’en aller.
— Avoir raison, ne débouche pas forcément sur une quelconque fierté. Je n’ai pas raison pour vous prouver que vous avez tort. De même que je n’ai jamais eu envie de vous agresser. En fait, je ne demande rien, un peu comme ce tigre qui n’emmerdait personne.
Il l’entendit encore lui lancer des mots pointus et tranchant comme des poignards, jusqu’à ce qu’il ne l’entende plus, en sortant à pied du camp.