Le tribut de guerre

Publié le par L'Eunuque

On aimerait retrouver le silence. Le souffle froid du vent et l’odeur absente de la glace. Ignorer le temps, ne plus voir les fumées épaisses et grasses tâcher la voûte du ciel. Ne plus entendre les souffrances des hommes, les cris de leur haine, leurs peurs suaves à vomir. Leurs folies, dès lors où elles envahissent un territoire, ne s’arrêtent jamais, relayées par d’autres hommes avec de nouvelles folies, mais avec les mêmes peurs.

Ils avançaient, les uns derrière les autres, les bras levés, sauf Berth qui avait refusé. Cela lui avait valu un coup. Les coups, quelque soit leur dureté ou leur intention, ne faisait pas aussi mal que le cadavre de son père abandonné au milieu des territoires obscures.

— Ils vont nous interroger et lorsqu’ils auront obtenu ce qu’ils veulent, ils nous tueront, dit discrètement le Lieutenant Daniel. Saloperie de communistes !

— On a cramé leurs camarades au napalm, ils auraient tort de ne pas faire pareil, commenta William.

— Saloperie de communistes !

Les Russes leurs étaient tombés dessus après le crashe de l’avion, juste au moment où William revenait annoncer que le Général et Pellotier étaient morts. Ils n’avaient pas même résisté. A quoi bon, c’était le massacre assuré, mais aux dires de Daniel, ça ne servait pas à grand-chose et sans doute pire. Ils seraient torturés, pour avoir des infos ou pour le seul plaisir de la torture.

Ils arrivèrent au camp. D’autres militaires Russes gardaient les ouvriers qu’ils avaient rassemblés et ligotés. Un officier sortit d’un des baraquements et vint à la rencontre du groupe.

— American, demanda t-il ?

— Français, ducon, répondit Daniel en bombant le torse.

— Je parle très bien le français, c’est dommage pour vous, dit-il en sortant son pistolet et en le pointant en direction de la tête du mercenaire.

— Non, dit Berth en s’interposant.

Ce qui créa un début de bousculade car un des gardes voulu frapper le jeune homme avec son arme alors que l’officier lui interdisait. Ce dernier rangea son arme, comme amusé par ce début de pagaille.

— Vous êtes le sauvage ?

Berth ne comprenait pas la question.

— Venez avec moi.

Il le suivit. Dans un des baraquements, installé sur un lit de camp, le Russe blessé, que les Inuits avait accueilli, était allongé et bénéficiait de soins.

— Vous vous connaissez ?

— Je ne connais même pas son nom.

— C’est Youssof. Je crois qu’il vous doit la vie.

— La vie des autres n’appartient à personne, il ne me doit rien.

— Sans doute, mais lui, il tient absolument à vous être redevable et je suis de son avis.

— Alors, j’aimerai que vous laissiez en vie toutes les personnes de ce camp.

— Qui vous dit que j’ai l’intention de tuer qui que se soit ?

— Votre regard. Vous avez déjà tué pour moins que ça. Vous trouverez certainement des raisons que vous jugerez valables.

— Peut-être que nous en tuerons quelques uns, mais pas tous.

Le soldat blessé demanda à son officier qu’il lui traduise ce qui venait d’être dit. Il eut sans doute un résumé car l’autre ne prononça qu’une seule phrase. Youssof lui suggéra quelque chose.

— Youssof ne comprend pas que vous protégiez les meurtriers de votre peuple et de votre père.

— Tuer quelqu’un ne me rendra pas mon père et je suis sûr qu’il m’en voudrait si son retour à la vie était la conséquence de la mort d’un homme. La vengeance : c’est la guerre. Le pardon : c’est la paix assurée.

L’officier secoua la tête de dépit. Il alla prendre une des bouteilles de Bourbon de Pellotier et bu à même le goulot.

— On ne construit pas un monde avec une philosophie délavée, continua t-il.

— Elle vous semble plus solide sur un monceau de cadavres ?

— On avance plus vite, c’est certain.

L’officier le regarda de la tête au pied.

— Je me demande ce que vous fabriquez par ici. Vous êtes français. Vous êtes loin de chez vous.

— Chez moi, c’est un peu partout.

— Un peu partout, c’est nul part.

— Vous êtes loin de chez vous, vous aussi.

— C’est la vie d’un militaire. Mais, si vous voulez dire que je ne suis pas chez moi et que je suis un envahisseur, ce n’est pas faux aussi. Nous sommes en guerre, ne le savez-vous pas ? Ils viennent faire joujou avec leurs bombes. Ils règlent leurs saloperies pour pouvoir les jeter sur nous. Ce que je fais ici ? La même chose que vous, apparemment. Je viens les empêcher, momentanément, d’affiner leurs conneries.

— Parce que les Russes ne font pas de même ?

— Nous n’attaquerons jamais les premiers.

— C’est ce qu’ils disent aussi en fasse, mais personne ne croit personne.

Il avala une grande rasade de Bourbon.

— Vous allez devoir partir. Sinon, vous n’allez pas aimer ce qu’il va se passer à partir de maintenant. Occupez-vous de votre père, de sa sépulture et laissez nous faire la guerre. Nous sommes les damnés de l’humanité, ceux dont l’histoire parlera plus tard avec dégoût.

— Vous n’êtes pas obligé de faire ça.

Le Russe haussa les épaules.

— C’est le tribut du vainqueur. Il faut que je revienne avec quelques scalps pour montrer à mes supérieurs combien j’ai été vaillant.

— Et si je vous apportais moi, un tribut bien plus valorisant qu’un génocide ?

Il posa la bouteille.

— Vous avez quelque chose à me proposer ?

— Contre la vie de tous ces hommes, oui. Mais aucun ne devra manquer à l’appel.

— Je vous préviens, nous partons bientôt.

— Je serai de retour avant.

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P
<br /> Palpitant en effet. Heureusement que j'ai la suite à lire. :)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Avec cette méthode, vous avez plus à lire et moins à attendre.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> JEFF a raison ! Très belle soirée à toi mon thrillo préféré :)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> C'est bien la première fois qu'on appelle comme ça, mais… j'aime bien.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Ah mon salaud, vous savez tenir en haleine !! C'est 24h chrono ce feuilleton ... euh non, c'est mieux !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je n'ai pas vu d'épisode de cette série, mais je vous fais confiance puisque cela me flatte.<br /> <br /> <br /> <br />