Les ombres du soleil

Publié le par L'Eunuque

« L’homme vivra », dit la vieille sur un ton rustre mais qui ne laissait pas place aux doutes.

— Son corps, en tous cas. Je ne me prononcerai pas sur sa raison. Il dit des choses que seul un esprit déranger pourrait comprendre, continua-t-elle.

— Je le comprends, cependant, affirma Anuqiak.

— C’est bien ce que je dis : un esprit dérangé.

Elle s’en alla. Sa démarche chavirait. Une hanche, usée par le temps et le poids d’un corps, la faisait souffrir depuis des années. Mais, pouvait-elle se plaindre ? C’était-elle qui officiait le rôle de médecin ou d’infirmière. Les autres du clan venaient la voir en apportant avec eux leurs malheurs. Ils n’avaient pas la place pour en accueillir d’autres. Puis, un Inuit ne se plains jamais car c’est très mal vu. De même, qu’il ne viendrait à personne l’idée de se vanter, car aucun exploit n’est le fait d’une seule personne mais celui d’un groupe.

Un mini conseil était réuni sous l’habitat du chef.

— La vieille n’a pas tort. Les mots que dit l’homme, nous les entendons, mais ils ne trouvent aucun sens dans notre tête. La peur, la terreur qu’il a vécu, a détruit le cheminement de ses idées.

Chaque fin de phrase d’Anuqiak était ponctuées par des « hum » par l’ensemble du comité.

— Cependant nous avons entendu Yhochiok. Yhochiok est un oiseau et les oiseaux ressentent des choses que seuls les animaux peuvent percevoir. Son esprit n’est avec nous aujourd’hui. Il est avec nous demain, dans quinze jours, dans un mois. Son esprit est devant nous dans le temps, alors s’il nous annonce que les esprits nous préviennent que notre disparition de ce monde est proche, alors nous devons considérer ses paroles avec intérêt.

Un vieux, Yanak, intervint.

— Est-ce que ce message ne concernerait pas que lui ?

— Lui ou le clan c’est la même chose.

Berth, quant à lui devait demander la parole pour intervenir.

— Oui, fils, parle.

— Est-ce que les esprits nous préviennent d’un danger ou nous avertissent de notre mort seulement ?

— Quelle différence cela fait-il, demanda Yanak ?

— Laissons parler mon fils.

Berth repris.

— Les esprits ont envoyé une vision par l’intermédiaire de Yhochiok. Yhochiok est un petit oiseau, et ce qu’il a vu, il l’a peut-être interprété comme un danger tellement grand, que nous ne pourrions y échappé. Mais, ce n’est que son interprétation. Ne pouvons-nous pas nous renseigner sur ce danger, mieux encore, et ainsi comprendre si vous pouvons lutter contre ou au moins l’éviter ?

Les « hum » résonnèrent.

­— Et comment le fils d’Anuqiak veut-il procéder ?

— Je crois qu’il faut écouter encore ce que l’homme qui vient de loin a à nous dire. Il prononcera les mêmes mots, mais nous devrons les entendre autrement, voir avec ses yeux, mais comprendre avec les nôtres.

— Peut-être que nous devons accepter notre destin.

— Nous l’accepterons, s’il est ainsi, mais ce sont les esprits qui nous ont guidés jusqu’ici. Nous avons voyagé durant soixante jours, dans des conditions difficiles, et tout ça serait pour nous périssions à peine arrivés ?

— Si c’est ce qu’ils ont décidé.

— « Si c’est ce qu’ils ont décidé », oui, mais nous n’en sommes pas encore sûr.

Il y eut un silence bruyant de réflexion. Anuqiak décida.

— Faisons venir l’homme et écoutons encore et encore.

Yanak se leva et sans animosité dit :

— Je ne veux plus rien entendre, je veux préparer mon âme au voyage qui arrive.

Tous les autres s’inclinèrent en signe de respect pour le choix de Yanak. Aucun autre ne quitta le cercle.

L’homme était soutenu par deux jeunes, dont Nüuk, qui n’avaient pas droit encore au cercle. Les mains du blessé étaient pansées et il ne semblait pas souffrir. En voyant le cercle, il eut un temps d’arrêt. Inquiet sans doute. Le sourire bienveillant d’Anuqiak le rassura.

— Entre ami, tu n’as rien à craindre.

— Je n’ai plus rien à craindre, car je n’ai plus rien. Mais si vous me demandez encore de revivre par les mots ce que j’ai vécu, c’est comme de me demander de mourir plusieurs fois. J’ai cru être mort avant de vous rencontrer. J’ai cru que je voyageais sur les terres de Tekkeitsertok et que c’était ainsi avant de renaître. J’ai compris que je n’étais pas mort, lorsque la vieille m’a coupé les bouts des doigts. Je ne sais pas aujourd’hui ce que je préfère.

Anuqiak l’aida à s’asseoir.

— Tu ne peux pas préférer autre chose que la vie car si tu es encore vivant c’est que des esprits l’ont voulu ainsi. Je sais que ta souffrance est grande, mais nous devons tous t’entendre à nouveau car certains de tes mots peuvent ouvrir des portes dans nos consciences. C’est important pour notre clan.

L’homme secoua la tête de dépit car il ne croyait pas que tout ce qu’il avait à dire pouvait aider qui que se soit. Il commença tout de même son récit.

— Je n’ai plus de nom, car m’ayant cru mort, un esprit a dû donner le mien à un nouveau né, quelque part. J’appartenais à un clan plus loin, vers le couchant. Nous sommes des convertis. Les blancs ont mis Jésus dans nos cœurs, oui, mais ils ne nous ont pas retirés les esprits de nos têtes. Je sais que votre clan n’est pas converti. Il est rare. Très rare. Je suis parti, un matin, chasser seul. J’aime ainsi, aux premières fontes, m’éloigner de plusieurs jours pour les lacs du haut et pêcher ou tuer les premiers caribous. La chasse avait d’ailleurs été bonne. Je me voyais entrer fièrement au camp, parler de mes prises avec mes enfants et laisser parler mon corps avec ma femme. Je voulais rentrer vite, c’est pourquoi, la dernière nuit étant si proche du camp que je décidais de ne pas la dormir, mais et de faire courir les chiens. J’étais sur une des dernières hauteurs, avec les étoiles brillantes au dessus de moi, lorsque le soleil s’est levé d’un seul coup, éclairant le monde comme il le fait au plus haut de la journée. Une tempête s’est levée, violente, m’empêchant de lever les yeux sur l’horizon. Le soleil s’est élevé encore et encore et il a commencé à tout bruler. Une pierre que le souffle avait fait voler, me percuta le visage et j’ai perdu connaissance. Lorsque je me suis réveillé, le jour était définitivement là et les chiens avaient disparu. La terre du bas était devenue noire, si noire. J’ai marché et marché. Les animaux étaient des devenus des ombres. Une odeur épouvantable me brulait à chaque respiration. A la place de mon camp, il n’y avait plus de maison et mes enfants, ma femme, mes amis n’étaient plus que des ombres. Voilà. Je ne sais pas ce que j’ai pu vraiment faire, avant d’arriver jusqu’à vous. Je ne sais pas. Ils sont tous morts. Ils sont tous morts…

Anuqiak fit appeler pour qu’on raccompagne le pauvre homme. Une fois parti, le cercle réfléchissait à ce qu’il venait d’entendre. Ce nouveau récit ne les inspirait pas plus que le premier. Les regards se tournèrent alors vers le fils d’Anuqiak, puisque c’était son idée.

— Alors, qu’en dit mon fils ?

Berth ferma les yeux un court instant et regarda les gens du groupe un à un.

— Je crois savoir de quoi il s’agit, dit-il enfin.

— Est-ce quelque chose que nous pouvons combattre, demanda un du cercle ?

— Non, définitivement, non.

 

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P
<br /> Une expérience atomique ?<br /> Argh...<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Dans les années 70 ça pétait un peu partout sur cette planète. Il y a des endroits, dans le Sahara, où il est encore préférable de ne pas traîner.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Hi , tjr interessant , les prenoms ( ou les noms ) sont attractifs avec ces y et ces k ...bon courage , biz a bientôt .<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Heureusement qu'il y a des peuples qui utilisent ces lettres là.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Nous saurons ce soir, bonne soirée à toi :-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Donc, maintenant vous savez.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Une météorite ?!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Peut-être !?<br /> <br /> <br /> <br />