Une Carmélite de trop

Publié le par L'Eunuque

Jarre

 

Bénarès : « Ville carrefour de toute la religiosité indoue », disent toutes les brochures touristiques. On y vient pour prier, pour se purifier, pour mourir aussi et avec un peu de chance (et beaucoup d’argent) s’y faire incinérer sur les Gates avec du bois de santal car ça, c’est un karma de première classe assuré pour la prochaine vie. Très peu peuvent se le permettre. La plupart du temps, pour les pauvres, le cadavre à peine cuit, sera balancé encore fumant dans le Gange. Il ira s’échouer plus loin sur les rives où l’attendent les vautours. Les rapaces sont gras du côté de Bénarès. Sur les Gates du Gange, les gens viennent y faire leur lessive, leur vaisselle. Les eaux usées y sont balancées et tous les matins, des milliers de pèlerins viennent y faire leurs ablutions, c’est-à-dire : s’immerger complètement et en boire une gorgée. Un maharadja du coin, très religieux, ne pouvait faire trempette que dans l’eau du Gange, si bien que lorsqu’il voyageait, il trimballait une immense jarre de 200 litres remplie d’eau sacrée.

Berth a du mal à circuler dans les ruelles qui mènent aux Gates. Il est à contre courant. Des milliers de personnes reviennent de leur ablution matinale et sont sans doute pressées de passer à autre chose car tous essaient de se doubler en bousculant, bouchonnant les moindres accès au lieu sacré. Une vache, pourtant habituée à ces vas et vient incessant, piqua une crise et fonça tête première dans une petite échoppe de fruits et légumes. La marchandise s’étala sur au moins 50 mètres, ce qui, tout à-coup attira une bonne dizaine de gamins faméliques qui se ruèrent sur la nourriture. Le marchand maudit l’animal, lui donne un coup de pied et à cause de cela faillit se faire lyncher. En Inde, blesser un humain, voire le tuer, est moins grave que  de maltraiter un animal. La vache est N°1 du top 100 des animaux sacrés. Cette bataille de rue fit gagner plusieurs centaines de mètres à Berth, mais pas pour longtemps car il fut à nouveau bloqué par une procession de Djaïns.

Ces hommes et ces femmes vivent quasiment nus. Ils s'habillent une simple tunique de lin. Ils respectent toutes formes de vie de façon extrême et excessive selon certains, car ils portent une sorte de masque de chirurgien pour ne pas avaler le moindre insecte et ils balayent devant eux afin de ne pas en écraser un seul. Ils ont même plusieurs temples tout à fait charmants dans lesquels sont installées des "chambres galeuses". Allez, je sens que ça vous intéresse, alors prenons 2 minutes. Une chambre galeuse est un endroit suave, hermétique au centre duquel un fidèle volontaire propose son corps comme nourriture à la gale. Interdit de se gratter, bien sûr, mais pas interdit de mourir. En lisant ces lignes vous ressentez des démangeaisons et sans doute commencez-vous à vous grattez. Vous ne feriez pas un bon Djaïn. Ou alors un Djaïn taille basse.

Berth trouva la fameuse rue parallèle aux Gates. C’est la rue des prostituées. Le touriste religieux en est friand ; après avoir libéré les ondes négatives de leur âme, d’aucuns trouvent bénéfiques en faisant de même avec les fluides corporels.

Berth n’espère pas trouver Kamala parmi tous ces regards qui l’interpellent. Il comprenant très vite que ce sont les plus âgées et les plus touchées par la vie qui sont dans les rues. Kamala est jeune, elle a une certaine classe et une grande beauté. Un visage fin, rond comme une actrice bollywoodienne.

Berth dût demander son chemin à l’une d’entre elle car la rue se terminait et il n’avait trouvé la fameuse maison close d’Aziz. Il n’eut pas le temps d’entendre la réponse car une voix l’agressa en anglais derrière lui.

— Ça vous excite tant que ça toutes ces pauvres gamines ?

C’était une religieuse européenne, devant faire partie d’une congrégation religieuse catholique mais spécifique à l’Inde, car son vêtement en toile grossière est un mixte entre le Sari et le Scapulaire.

— Alors, insista t-elle ?

— Je vois que vous avez l’intention de me chier dans les bottes, mais vous ne savez pas qui je suis, ce que je suis venu faire et encore moins ce que j’ai l’intention de faire. Vous n’avez pas votre place ici, sauf si vous espérez les emmerdes. Ces filles n’ont pas besoin de vous car ce dont elles ont besoin ne ressemble pas à une poupée de 1m60 habillée comme une Carmélite.

La poupée ne perdit pas de sa superbe et avança vers Berth, prête à en découdre. Mais, elle stoppa net car elle aperçu derrière l’étranger d’autres étrangers qui l’effrayaient.

— T’es revenue toi. T’as pas compris le premier message, c’est ça, cria l’un d’entre eux.

— Et merde, souffla Berth.

Puis à la religieuse :

— Cassez-vous, maintenant. Va y avoir du grabuge sinon.

Elle entreprit un premier pas en arrière mais il était visiblement trop tard.

— Non, non, tu ne bouges plus ma chérie.

Le petit groupe passa au niveau de Berth, l’un d’entre eux, le chef sans doute, le regarda des pieds à la tête. Pour l’instant le géant l’intéressait moins que la femme.

— T’es pas de chez nous, tu arrives et tu nous donnes des ordres. C’est pas bien ça, mais alors pas bien du tout. Pourquoi tu t’intéresses aux putes ? T’as l’intention de changer de métier, c’est ça ? Mais il fallait le dire, je suis le meilleur professeur et mes copains des élèves plutôt doués.

Il lui arracha le voile qui lui couvrait la tête, libérant ainsi une chevelure rousse fournie.

— Tu es plutôt laide, mais nous ferons un effort.

Puis se retournant vers Berth :

— L’étranger a t-il quelque chose à redire à cela ?

— L’étranger s’en fout royalement de vos conneries.

— De nos quoi ?

— Conneries. Vous pouvez la baiser autant que vous voulez, j’en ai rien à foutre mais ça reste une grave connerie.

Le chef s’approcha de lui avec un couteau. Berth montra son épaule avec les fils qui n’étaient pas encore retirés.

— On m’en a planté un plus gros la semaine dernière, alors ton cure-dent m’impressionne difficilement. Mais, revenons à cette histoire de connerie. Si tu joues avec la gamine, tu vas t’attirer toutes les emmerdes. Ces bonnes femmes là, sont toutes des filles de diplomates en mal de sensations ésotériques. Elles sont hyper surveillées, contrôlées ou comptées. Tu en touches une et débarque alors la cavalerie et cela devient vite le bordel.

L’Indien réfléchit un court instant, rangea son couteau et haussa les épaules.

— C’est pas faux, c’est même très juste ce que tu dis là, mais je crois qu’on va tout de même prendre le risque.

Il fit un léger signe aux deux autres. Ils empoignèrent la jeune femme qui ne sourcilla pas le moindre geste, mais qui envoya un appel aux secours du regard en direction de Berth.

Les hommes passèrent une sorte de porte cochère, demandèrent à quelques prostituées de dégager et avant de disparaître derrière elle le chef, apparemment amusé, lança à Berth :

— Si ça te dit…

Berth ferma les yeux, comme pour se concentrer sur ce qu’il avait à faire.

— Si j’y vais, se dit-il, je suis grillé dans le quartier et je perds la trace de Kamala. Et si je n’y vais pas… Bah, en fait, je ne peux pas ne pas y aller. Putain de religieuse à la con.

Alors, il alla, lui aussi, derrière la porte cochère. Mais pas pour y faire ce pourquoi il y était invité.

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P
<br /> Tiens, encore une improbable... Chic alors, je les adore celles là.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Y en a partout sur les chemins de L'Eunuque.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> J'ai bien aimé le djaïn taille basse, pourquoi pas le djaïn troué ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Une prochaine fois, peut-être ?<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> C'est un moment intéressant, même si cette religieuse qui ne manque pas de ressort est quand même assez chiante... bonne soirée !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Les chemin qui mène où vous avez décidez d'aller semble simple au début. Pourquoi faut-il qu'il y ait constamment des gens qui vous détournent de votre route ?<br /> <br /> <br /> <br />