Celui qui fait peur

Publié le par L'Eunuque

Elle avait fait venir Berth à l’infirmerie, ne pouvant prendre sa pause cigarette habituelle. Elle devait veiller sur les enfants malades. Elle dormirait avec eux. Pour l’instant, elle était assise, le regard dans le vague car elle venait d’écouter Berth et celui-ci lui avait dit tout ce qu’il savait.

— Mais, ce n’est pas possible, cet homme doit se tromper, dit-elle enfin.

ça n’a plus d’importance.

— Comment ça ?

— J’y ai bien réfléchi et je ne veux pas connaître la suite, ni la fin de cette histoire. Je me rends compte à quel point cela m’a détruit, alors que j’espérais mieux me construire. Je suis fatigué de réfléchir aux différentes hypothèses, aux raisons qui ont pu m’éloigner d’une vie au sein d’une famille. Ça ne m’intéresse pas.

Marie se frottait les mains, nerveusement. Son regard exprimait autant de la tristesse que de la pitié. Elle n’y pouvait rien. On l’avait éduquée ainsi. Face à la misère d’autrui on se doit de ressentir de la miséricorde. Elle comprenait que son comportement était pitoyable.

— Berth, ce que j’ai à vous dire est terriblement égoïste, mais ne partez pas comme ça, pas tout de suite. Je comprends que pour vous ce doit être un calvaire que de vivre ici, mais sachez que pour moi ça l’est tout autant. Vous aviez raison l’autre soir, je me sens loin, tellement loin de ce monde dans lequel je vis. J’étouffe, je fais bonne figure, mais j’étouffe. Vous… vous êtes quelqu’un qui m’apaise et… et en même temps je me rends compte à quel point c’est puéril ce que je dis…

— Marie, je ne crois pas que se soit une bonne idée. Vous, moi…

— Voilà en quoi ma demande est singulièrement égoïste. Je maintenais le cap jusqu’à maintenant, puis vous êtes arrivé et je me suis laissée aller à des rêveries et je ne sais plus trop où j’en suis et maintenant… et maintenant, je me sens comme une idiote, je dois être rouge comme une tomate.

— La lumière n’est pas assez forte pour que je puisse le voir.

— Et si je me rapproche ?

— S’il vous plait, non, s’il vous plait.

— D’accord, d’accord, excusez-moi…

Elle frotta nerveusement sa robe. Lissa un improbable pli. Ils restèrent un instant dans ce silence pesant de cette loge d’infirmière à côté du dortoir où dormaient les enfants malades. L’un comme l’autre se sentait stupide, Marie pour avoir été entreprenante, Berth pour ne pas avoir encore compris ce refus aussi catégorique, alors qu’au fond de lui, il ressentait quelque chose de probablement aussi fort.

Berth se leva.

— Vous allez partir ?

— Non, je voulais ouvrir la fenêtre.

— Le parfum des étoiles ?

— L’air du soir aussi.

Elle se raclât la gorge.

— Vous voulez bien veiller avec moi cette nuit ? Je vous saoulerai de paroles et ainsi cela m’empêchera de dormir.

— Oui. Avec plaisir.

Ils étaient tous les deux à la fenêtre désormais.

— Où voulez-vous aller, lorsque vous aurez décidé de partir ?

— A Hambourg, très probablement.

— Hambourg, pourquoi donc ?

Il n’eut pas le temps de lui réponde. D’où ils étaient, ils entendaient la voix de Napoléon qui vociférait.

— Ce n’est que Napoléon, dit-elle. Mais, ses cris vont effrayer les enfants.

— Je vais aller le voir.

— Lorsqu’il a bu, il est assez agressif.

ça ira, on se connaît bien maintenant.

Berth suivi la grande allée qui menait au taudis du vieux gardien. Il n’y voyait quasiment rien. La maison de Napoléon était allumée mais lui n’y était pas. Berth entendit, en plus de la voix du gardien, celle d’un autre homme. Il parlait doucement, comme s’il cherchait à apaiser le vieil homme.

— Vous comprenez, disait Napoléon, quand je l’ai vu tout est revenu. Mon frère, tout ça. La souffrance surtout. J’ai pas pu m’en empêcher.

— Calmez-vous, je comprends, tout ça était malheureusement prévisible…

L’homme s’arrêta de parler car il venait de voir l’ombre de Berth passée devant la  lumière de la baraque de Napoléon.

— Attendez, cria Berth.

Mais on entendait les pas de l’homme qui avaient déjà atteint le bitume de la route de Fondettes.

Berth failli tomber, plusieurs fois. Il n’y voyait décidemment rien.

— Ne me suivez pas, jeune homme, on n’y voit rien ; la Lune est absente et les fossés sont dangereusement profond. Venez me voir, puisque vous y tenez, mais de jour, si vous avez le courage de m’affronter et par là même, d’affronter votre passé.

— Je viendrai, mais qui êtes vous ?

— Celui qui fait peur.

C’était Paul Bouvet. Berth en était certain.

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B
<br /> C'est fou comme on perd ses moyens, comme on devient preesque maladroit, à faire l'inverse de c'qu'il faudrait, devant une personne qui ns est chère...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Berth n'est pas un adolescent très ouvert non plus. Il apprend la vie, ses codes et les rapports avec les humains. C'est pas gagné.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Y en a d'autres...mais ils dégustent silencieusement.<br /> Et puis merde, on ne va pas vous passer de la pommade sur les fesses tous les jours hein !!... ce serait une mauvaise habitude.Nous (même sous la torture je ne dévoilerais pas les noms des groupies<br /> de l'Eunuque)... je disais donc, nous on aime, et quand on aime hein...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Pas de pommade effectivement, même si elles ne sont pas aussi douces que celle d'un bébé, elles ne sont pas irritées pour autant. Encore merci pour votre témoignage.<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Ca avance, ca avance ! :))<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> La brume se dissipe et l'on commence à apercevoir les rivages.<br /> <br /> <br /> <br />