Départ de Sanaa

Publié le par L'Eunuque

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Blue Star avait le regard vide, la bouche pendante d’où coulait une bave chargée.

— Tu es sûre qu’il sera capable ? s’inquiéta Le Chacal.

— On est passé de 4 grammes à 1,5. Je ne peux pas faire mieux, râla sur un ton fataliste Natacha. Et si cela se trouve, lui même n’est jamais descendu aussi bas.

— Mais alors pourquoi il a cette tronche ?

Natacha haussa les épaules, en signe d’impuissance.

Le Russe était dans une position étrange. Ce monstre de l’Oural de près de 2 mètres et pesant au moins 170 kilos était recroquevillé sur sa chaise, le visage tendu vers l’avant, un câble de bave qui filait sans discontinu jusqu’au sol. Il releva la tête, regarda le plafond et dit :

— Blue Star (en roulant les R comme dans les films) envie pisser.

— Oh le con, dit Bachir, il se pisse dessus.

Effectivement, entre les jambes de l’homme, coulait un filet d’urine plutôt fourni. Natacha, énervée et soucieuse de tout faire pour réveiller cette montagne, lui envoya une torgnole magistrale.

— Mais, ça va pas de frapper moi ? rouspéta t-il.

Il se leva trop vite, chavira en avant et en arrière, puis retomba sur sa chaise qu’il pulvérisa.

— Moi, je crois que ça ne va pas être possible, supplia Le Chacal.

— Et moi, je crois qu’il fera l’affaire, dit sur un ton péremptoire L’Eunuque qui revenait dans la pièce.

— Berth, ce type consomme autant qu’un Antonov.

— J’ai de quoi le dopé tout le long de la route, affirma L’Eunuque.

Il montra un sac en plastique avec des tas de gélules de toutes les couleurs dedans. Il le lança à Natacha qui regarda vite fait et qui de suite sembla apprécier.

— Y a de quoi maintenir éveillés dix Russes bourrés comme lui avec ça.

— Pas Russe, vomit Blue Star, Ukrainien. Russes tous pédés. Blue star, délicat, sensible et pas pédé.

L’Ambassadeur Woodford fit signe à Berth de le rejoindre dans son bureau.

— Nos services sont allés à l’endroit où étaient retenus ma fille et le malheureux Williams, nous n’avons trouvé personne, bien-sûr, mais pas non plus de cadavres.

— Je n’ai tué personne.

— Vous aviez dit cependant…

— Nous nous sommes mal compris.

— Les autorités Yéménites ont cependant capturés plusieurs des hommes qui ont participé au kidnapping, mais pas Youssef Narlougue.

— Alors, les types qu’ils ont capturés ne servent à rien. Intervenez pour qu’on les relâche.

— Mais, il n’en est pas question. Ces gens ont égorgé un gosse.

— Vous voulez qu’on s’amuse à faire les comptes de ce que tuent les actions américaines dans le monde. Puis, ces gens sont pacifiques à l’origine. Ce qui s’est passé en Irak en a fait des hommes malléables et manipulables. Vous voulez qu’on commence à y voir un peu plus clair dans ce merdier international ? Faites un geste. Intervenez pour qu’on relâche ces types.

— Je ne peux pas. Je ne peux pas ne serait-ce que vis-à-vis des parents du jeune Williams.

— Vous continuez à en faire une affaire personnelle. La paix dans le monde arabe contre une amitié perdue de gens que vous ne connaissez probablement pas. Le gosse est mort, vous ne pouvez plus rien y changer. Par contre, si vous libérez ces gens, votre clémence sera connue de tous. Il s’en trouvera moins, qui voudront capturer d’autres ressortissants américains. Ne fabriquez pas de martyres.

— Mais de là à les libérer ?!

— C’est vous qui voyez. Si vous ne demandez pas la libération, ils seront condamnés à mort, lors d’un procès de pacotille, et exécutés.

— Vous êtes un drôle de bonhomme, on ne sait pas dans quel camp vous vous situez.

— Cela n’a franchement aucune espèce d’importance.

Woodford fouilla dans le tiroir de son bureau et sortit un DVD.

— Ce Youssef a laissé ça pour vous, du moins c’est ce que nous en avons compris.

Il introduit le disque dans le lecteur de son ordinateur et le mit sur lecture. Sur l’écran, un homme à visage découvert et amoché hurlait sa haine envers le suppôt de Satan que pouvait être Berth, le fils de pute était la traduction la plus juste.

— Je ne parle pas l’arabe. Que dit-il ? demanda l’Ambassadeur.

— Des conneries.

— Il a l’air très en colère.

— Je ne le serais pas moins.

— Je dois envoyer ça au service des renseignements pour le faire traduire.

Berth n’en écouta pas plus. Il sortit du bureau.

De retour auprès de ses amis il dit :

— On lève le camp. Je viens de voir Youssef sur l’ordi de Woodford, il n’a pas l’air très content que nous ayons bousillé son bizness.

— Qu’est-ce qu’on en a à foutre de cet enculé ? vociféra Le Chacal.

— De lui, rien, mais dès que l’ambassadeur aura la traduction du message qu’il m’a laissé, on va avoir du mal à décoller du Yémen.

Natacha arriva en trombe.

— Bon, je gave le Russkof maintenant ou merde ?

— Charge-le, oui, confirma Berth.

Elle allait repartir puis se ravisa.

— Et qu’on soit bien d’accord, je ne suis pas la nourrice du bouseux. J’en ai ras la motte qu’il me plote le cul. J’suis pas bégueule, mais s’il continue, je peux te garantir que ton Antonov n’est pas prêt de décoller.

Le Chacal siffla d’admiration.

— Nom d’une merde sèche, il t’a ploté le cul ? Y a vraiment qu’un mec bourré pour faire ça.

Tous s’activèrent en prenant leurs dernières affaires. L’Eunuque rageait de ne pouvoir rien porter si ce n’est lui même et encore, avec difficulté. Les dernières caisses étaient chargées dans le mini van par Bachir qui avait fait quelques allers et retours depuis une heure déjà. Natacha demanda l’aide de celui-ci pour faire monter le pilote dans le coffre avec les caisses. L’arrière du véhicule s’enfonça. Personne n’en fit la remarque.

Le jour commença à se lever et la deuxième prière était en route. Les rues de la capitale étaient désertiques. Pendant le Ramadan, les matins sont inexistants pour les Yéménites. Tous les minarets récitaient les mêmes sourates mais en décalage dans une cacophonie incroyable. Personne dans le véhicule ne parlait, même l’Ukrainien semblait être absorbé par les paysages. Les médocs étaient en train d’agir.

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J
<br /> c'est vraiment bien écrit! j'aime le franc parlé des personnages et les situations sans ambiguité dûes aux circonstances de l'aventure...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci à vous. Vos encouragements m'incitent à continuer.<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Un petit coucou...je reviens petit à petit dans le coin...un peu plus du côté photos mais je suis toujours là...<br /> Beaucoup de retard par chez toi à mon avis :( alors je vais reprendre en cours de route :)<br /> Biz à toi !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci de passer me voir.<br /> <br /> <br /> <br />