Deux ou trois pas en arrière

Publié le par L'Eunuque

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Berth n’arrivait pas à dormir. Il pleuvait sur sa mémoire, les images d’un passé pas si lointain. Mary, Dimitri et le plus impitoyable de tous : Marcus. Berth avait senti sa présence. Il avait reconnu cette odeur froide de tabac gris, que cet Allemand de l’Ouest trimballait partout avec lui. Laissant ses effluves agressives à chacun de ses passages.

Marcus : le plus convaincu de tous. Non pas d’une quelconque cause mais de la nécessité de prendre une revanche sur la vie. Quelle revanche d’ailleurs ? Confiné dans un univers bourgeois, riche, catholique convaincu et austère. Il semblait avoir enduré au sein de cette famille. Alors, et à juste titre, le sien, il s’employait désormais à faire supporter au reste du monde, une vengeance justifiée pour toutes les souffrances accumulées dans sa jeunesse. S’il l’avait été honnête, mais on ne l’est jamais lorsqu’on est en colère, ce dont il avait surtout souffert, c’était d’un manque d’amour. Les êtres aimés, à moins d’être malades, ne sont jamais violents. Marcus aurait pu se contenter d’en vouloir à ses proches, il avait décidé de s’attaquer au monde entier, à tous les états impérialistes, fascistes, néocolonialistes. Tout ce qui n’était pas communiste.

La jeunesse des années 70 et 80 se faisaient connaître en jouant dans un groupe de rock, ou en faisant partie d’un mouvement activiste. Marcus avait rejoint une branche armée révolutionnaire qui avait été créé par un ancien de la bande à Baader. Ces jeunes activistes étaient très prisés par les états communistes qui leurs offraient une formation, de l’argent, des armes, afin qu’ils aillent foutre le bordel de l’autre côté du rideau de fer.

Berth avait continué sa route, une fois le détroit de Béring passé. Rencontrant d’autre peuples nomades, se mêlant à eux, offrant son expérience d’Inuit en échange il intégrait toutes ces nouvelles culture. Puis, le nombre des mois ou des années s’était écoulé, il avait repris une route plus solitaire en Sibérie, luttant contre une nature difficile, qui ne se suffisait pas de son âme qui lui était acquise, mais qui lui voulait la vie.

 Et elle y serait sans doute arrivée si Berth n’avait eu la chance de passer pas trop loin de ce camps d’entrainement, à quelques centaines de mètres, là où il s’était écroulé épuisé. C’est Mary qui l’avait repéré et qui avec l’aide d’un des moujiks qui les assistaient l’avait ramené inanimé au camp.

— C’est peut-être un espion ? avait de suite estimé Dimitri.

— Abruti, regarde comment il est habillé, avait rétorqué Mary. C’est peut-être un Dolgane ou un Nganassane.

— Non, avait dit Youri le Moujik, c’est un Inuit, mais il n’y a pas d’Inuit dans le coin, puis il est blanc.

— Alors, c’est une connerie d’espion, avait insisté Dimitri.

— On lui demandera ce qu’il est, lorsqu’il se réveillera.

— Marcus ne va pas être d’accord.

— J’emmerde Marcus.

— Et bien tant mieux, comme ça c’est toi qui te démerdes avec ce colis.

Berth n’avait émergé que 24 heures plus tard. Youri était de garde. Dès qu’il vit que ce drôle d’Inuit avait ouvert les yeux, il était sorti pour prévenir les autres. Seuls, Mary et Marcus étaient venus lui rendre visite. Mary l’aida à se relever et lui donna à boire un lait de Renne, épais comme de la crème et qui puait le bouc.

— Est-ce que tu comprends notre langue ? avait demandé Mary.

Berth avait fait signe que oui.

— Il faut que tu boives ça, c’est ce que dit Youri. C’est assez dégueulasse, mais efficace… paraît-il.

Berth commença à boire. Cela n’avait pas le goût de l’odeur, heureusement.

— D’où viens-tu ?

— Je ne sais pas vraiment. Du nord est, mais je ne suis pas sûr.

— Sais-tu où nous sommes ?

— Non.

— Depuis combien de temps es-tu parti ?

— Je ne sais pas en quelle année on est et votre question est incomplète. Etant nomade, je suis toujours en partance.

— Alors, disons avant que tu sois devenu nomade et sachant que nous sommes en 1978.

Berth fit appel à sa mémoire.

— Cela fait donc plus de 8 ans.

— Et tu as quel âge ?

Berth réfléchit encore avant de répondre :

— A peu prêt 24 ans.

— Et…

— Stop. Ça suffit. Je… je vous remercie de m’avoir aidé et de votre accueil, mais une fois que j’aurai repris des forces, je vais repartir. Alors, peu vous importe de savoir d’où je viens, mon âge, qui je suis et où je vais.

Marcus alluma une cigarette et vint s’installer à son tour à côté du lit.

— Ce n’est pas aussi simple que ça, camarade. Tu es en URSS et ici, il ne suffit pas du bon vouloir seul des gens pour faire ce qu’on veut.

— Vous n’êtes pas Russes.

— C’est vrai, mais ce sont des alliés dont nous sommes les invités. A cet égard, nous avons des obligations. Et ce que nous faisons ici est assez particulier pour que nous ayons toutes les raisons d’être vigilants quant aux nouveaux venus.

— Vigilants ? Est-ce synonyme de « méfiants » ?

—Disons, qu’il est important de distribuer notre confiance qu’avec parcimonie.

Il tira sur sa cigarette et les volutes bleues qui s’échappèrent ensuite de sa bouche lui marquèrent le visage. Il s’en débarrassa d’un geste lent.

— Je n’ai rencontré personne durant des semaines, peut-être des mois. J’ai l’impression que ce camp est isolé du reste du monde, ce qui me fait vous demander : de qui vous méfiez-vous ?

— De personne, sans doute. De toi, peut-être. Nous sommes à l’affut. Nous mettons en application ce que nous apprenons ici.

— Et vous apprenez quoi, en dehors de vous méfiez.

Marcus eut un sourire coincé.

— Notre méfiance nous demande d’attendre de mieux te connaître avant de te dire la suite.

Berth refusa une cigarette qu’on lui présentait.

— Laissez-moi quelques jours et je serai plus en forme pour reprendre la route.

— Comme je te l’ai dit, cela ne dépend plus de toi.

— Cela dépendra toujours de moi.

Berth posa le bol de lait et défia du regard le fumeur de tabac gris.

 

 

 

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P
<br /> Suis contente d'avoir l'explication pour Marcus.<br /> Et j'aime mieux les photos d'Evelyne. ;)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je préfère aussi les photos d'Evelyne, cependant n'en avais point.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Flash back et on comprend mieux !<br /> <br /> Berth a fait au moins une jalouse ........ Evelyne D ! ! !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Voilà ce que c'est que d'être exclusive. On ne supporte pas la concurrence. Celle-ci n'en est pourtant pas une. Je n'avais pas d'image adaptée au récit.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Siouplaît E.D. et Berth, pas la vaisselle !!... et on a dit pas les vêtements !!!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> On s'est expliqué. Tout va bien maintenant.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> J'étais un peu largué avec ce pan de vie qui était parti, maintenant je sais ! :) enfin, je vais savoir.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oui, le flash back s'imposait.<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> Ben dis donc... tu me fais des infidélité là !! Elle n'est pas de moi cette photo... :-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oui, car dans cette immense bibliothèque de photos que tu possèdes, je n'ai pas trouvé d'images de Sibérie. Cela dit, un lac gelé, avec une montagne derrière, comme il en existe partout dans le<br /> monde (même dans les Alpes), aurait fait l'affaire. Je vais chercher à nouveau.<br /> <br /> <br /> <br />