Le passé est le passé…

Publié le par L'Eunuque

Temple 04

— Viens avec moi, je te paye un verre.

— Des amis m’attendent.

— Tu entres illégalement chez moi, tu peux bien prendre le temps de boire un verre.

— C’est donc chez toi ici ?

Dimitri le regarda d’un air circonspect et amusé.

— Berth, il n’y a pas plus de déesse ici que ours polaires.

— Mary se balade sur char en laissant supposer le contraire.

— Que veux tu, c’est son truc : la paix, l’écologie, l’amour des peuples, la justice. Tu la connais, elle n’a pas trop changé. Intellectuellement, j’entends. Pour le reste, tu as pu constater par toi même. D’ailleurs, tu n’avais peut-être pas besoin de faire le mur pour venir la voir.

— J’ai trouvé ça plus simple que de passer par la voie officielle.

— Et tu n’as sans doute pas tort. Si tu savais les gugusses que ça attire cette connerie de déesse vivante. Veda est un bel exemple. Convaincue, dévouée, partisane, endoctrinée. Maintenant il est trop tard pour elle de faire marche arrière. Tu lui apporterais la preuve que Mary est une imposture, qu’elle refuserait de te croire. C’est comme ça. L’esprit a certes du mal à faire marche avant, mais encore plus de mal à faire marche arrière.

— Donc, tu es toujours un révolutionnaire ?

— Dans l’âme oui, dans les actes, beaucoup moins. A l’époque tu n’utilisais pas ce mot : révolutionnaire. Tu disais quoi déjà ?

— Meurtrier.

— Oui, c’est ça, meurtrier.

— Et vous en étiez.

— Nous menions une guerre contre toute cette exploitation de la misère humaine et…

— C’est bon, je connais vos discours par cœur.

— Nous étions dans le vrai, puisqu’on y croyait. Nous étions comme cette pauvre Veda.

— Mary y a cru un peu plus fort et…

— … et dans toutes les guerres, il y a des dommages collatéraux.

— Et aujourd’hui ?

Dimitri soupira.

— Aujourd’hui, nous sommes en Inde, sous la protection de ce Maharadja qui se faisait chier dans sa vie de nanti et qui s’amuse désormais en nous regardant vivre. Un abruti de première, mais qui pour l’instant nous rend service… dit, tu es sûr de ne pas vouloir prendre un verre ?

— Oui, j’en suis sûr. Je vais repartir. Des gens m’attendent.

Berth amorça un début de retraite.

— Mary est bien ici, elle est même privilégiée, vu son état.

Berth continuait à marcher en laissant derrière lui Dimitri lui parler.

— Je me suis occupé d’elle, tu sais. Elle est bien aujourd’hui… elle avait fait des choix, à l’époque…

Berth fulminait. Il se retourna.

— Des choix ?! Des choix enfumés par tes discours à la con de petit révolutionnaire bourgeois de merde.

Il reprit le chemin de la sortie. Dimitri riait.

— Ça fait du bien, après toutes ces années que de vomir ta haine contre moi ?

— Détrompes-toi, je n’ai pas de haine.

La voix de Dimitri lui parvenait grâce à l’écho désormais.

— Pourquoi es-tu venu la voir, Berth ? Tu as toujours le béguin pour elle ? Dommage, Berth, dommage hein, qu’elle ne soit plus que l’ombre de cette beauté magnifique qu’elle a été…

Le reste s’évapora lorsque Berth atteignit le perron du temple. Veda l’attendait.

— Revenez la voir et je vous tue.

— Pauvre folle, lui lâcha t-il.

Mais il regretta cette dernière remarque. Cette femme qui était obnubilée par sa maîtresse ne méritait pas cette insulte. Cependant, aucune compassion, aucune attention particulière ne pourrait dévier les convictions de cette prêtresse, en cela, Dimitri avait raison.

D’une des fenêtres du premier étage, un autre homme regardait le Français traverser la pelouse vers la porte de sortie. Il fumait une cigarette. Mary avait réussi à se redresser seule. Elle avait entendu les dernières paroles de Dimitri ainsi que la bêtise de son rire.

— Qu’est-ce qu’il est venu faire ici ? demanda le fumeur.

— Il est venu me voir, c’est tout, expliqua lascivement Mary.

— Qu’il ne revienne plus.

— Le passé est le passé, Marcus.

L’homme à la cigarette écrasa celle-ci, sur le rebord de la fenêtre.

— Regarde-moi ces cons de chiens. C’est vrai qu’il a toujours été très… ami avec ces putains de clébards.

Les deux chiens vinrent lécher la main de Berth, comme pour le remercier de sa visite. Un des gardes lui ouvrit la porte, non sans le tancer d’un regard haineux qui semblait lui dire qu’à cause de son intrusion, lui et ses copains allaient se faire engueuler pour avoir été si laxiste.

La porte se claqua derrière lui. Berth devait faire le tour de l’enceinte du temple afin de retrouver Laureen et Ram, mais à mi parcours, ce sont eux qui vinrent à sa rencontre.

— Je t’ai vu sortir par la grande porte, étranger, dit Ram. Alors, j’ai dit à la vieille de me suivre…

Pour cette dernière remarque, il reçu un coup de pied au cul qui semblait plus amical qu’autre chose.

— Ce gamin est une adorable peste, qui ne sait pas que l’on se doit d’avoir un peu plus de respect envers les ainés.

Deux pairs d’yeux interrogeaient Berth qui, malgré l’envie de se taire, comprit qu’il se devait de faire un récit précis de sa visite.

— Allons d’abord chez toi, Ram. Ton père doit être inquiet.

— Mon père est malade et à cette heure il dort.

— Allons-y quand même.

— Et moi, je fais quoi, demanda Laureen ?

— Tu peux dormir chez moi. Il y a plein de place, se précipita à dire le gamin.

— Pas question que je troque ma chambre de luxe contre une paillasse sur un sol en  pierre. Je retourne au Palais directement. Tu me raconteras ça demain. Vient donc déjeuné avec moi, et pendant que je mangerai des bananes, tu en profiteras pour prendre une douche.

Puis voyant l’attitude envieuse du gamin elle rajouta :

— Amènes ce sale môme avec toi.

Ram eut un sourire radieux.

— On mangera des bananes, dit-il.

— Ouais, c’est ça, on mangera des bananes.

Et elle disparu dans la pénombre de la grande rue qui menait au Palais.

Ram et Berth se dirigèrent vers la maison du père du gamin.

— Elle est gentille ta femme, se moqua Ram.

— Oui, j’ai l’impression qu’elle te plait beaucoup.

— Ouais, mais dommage qu’elle soit si vieille.

Il reçu un deuxième coup de pied au cul amical. Le rire du gamin résonnait dans les ruelles définitivement désertes.

 

 

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Commenter cet article
P
<br /> J'ai perdu le fil sur Marcus. Je ne sais pas ou plus qui il est.<br /> Mais souri sur tout le reste.<br /> J'espère juste ne jamais rencontrer Ram. Sale gosse ! ;)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Un sale gosse, magnifiquement débrouillard.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Révolutionnaire quand on est jeune ! qu'est-ce qu'on devient après ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Plutôt que de faire la révolution au fond des bars, on agit sans faire de bruit.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Ben dis donc c'est un joli billet, j'avais pas pu passer hier, j'suis doublement content aujourd'hui ;-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je ne publie que tous les deux jours désormais. Manque de temps plus que d'inspiration.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> J'aime beaucoup ta façon d'écrire !!!!merci pour ce partage<br /> bonne journée<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci alors de m'encourager à continuer. Bonne journée aussi.<br /> <br /> <br /> <br />