Le repas de Nanuk

Publié le par L'Eunuque

La balle sifflât au dessus de leur tête. Anuqiak fit signe aux deux hommes qui avaient préparé leur harpon de ne rien faire.

— C’est la peur qui leur a fait nous tirer dessus, dit-il doucement. Si nous ne montrons pas d'agressivité, alors ils auront moins peur de nous.

Le groupe pu entendre une voix de femme.

— N’approchez pas, dit-elle en français avec un accent québécois très prononcé.

Anuqiak demanda à Berth :

— Parle t-elle ta langue ?

— Nous arriverons à nous comprendre, oui.

 Berth leva son bras, le mis à découvert ce qui occasionna un nouveau coup de feu.

— En tous cas, dit un des chasseurs amusés, elle tire très mal.

Berth alors se leva.

— Madame, vous n’avez rien à craindre de nous. Nous sommes Inuits. Nous avons vu la carcasse de l’avion et nous vous avons suivis pour vous porter de l’aide.

— Je ne vous crois pas. Vous n’êtes pas Inuit, vous parlez français.

— C’est trop long à expliquer comme ça, dans le froid et les bras en l’air.

Berth pu apercevoir le bout du fusil.

— Madame, il y a un blessé avec vous et vous avez un enfant.

— Comment savez-vous tout ça ?

— Nous sommes Inuits c’est notre vie que de savoir tout ça.

Elle laissa un moment passer.

— Je ne peux toujours pas vous croire.

— Il va le falloir, cependant. Je vais venir avec mon père.

— N’avancez pas.

— Nous le ferons. Nous ne pouvons pas vous abandonner ici.

Berth fit signe à Anuqiak qui se leva aussi et tout deux commencèrent une marche vers le campement improvisé. Ils virent la femme, apeurée, une enfant de 6 ans dans les bras et un homme endormi sur une civière faites avec un bout de l’avion.

— L’homme a les deux jambes cassées, dit Anuqiak en premier diagnostique. Tous sont épuisés.

Est-ce la vue du chef qui rassura la femme, car elle baissa l’arme.

— C’est votre mari, demanda Berth ?

— Oui.

— Et c’est votre fille ?

— Non. Ces parents sont morts dans le krach. Je ne connais pas son nom. Elle n’a pas parlé depuis… l’accident.

Anuqiak s’approcha de l’enfant qui se cramponna à la femme. Il dégagea la capuche et les cheveux pour voir ses oreilles.

— L’enfant a du sang qui a séché à la sortie des oreilles, dit-il en se relevant. Elle n’entend rien. Il faut que la vieille lui perce la croute et lui évacue le pue. Dis à la femme qu’ils vont venir avec nous.

— Nous allons vous transporter jusqu’à notre camp. Mais les chiens et les traineaux sont à quelques kilomètres d’ici. Vous allez devoir marcher. Nous nous occupons de votre mari et quelqu’un va porter l’enfant…

—… je peux le faire…

— …vous êtes épuisée. Il faut garder vos forces pour rejoindre les chiens. Après, vous pourrez vous reposer sur le traîneau.

Berth regarda autour de lui.

— Dites-nous ce que vous voulez que nous prenions, mais nous ne pourrons pas tout emporter.

Elle haussa les épaules d’un air de dire que rien n’avait d’importance à ses yeux. Elle désigna cependant un sac, les jouets de l’enfant et c’est à peu près tout.

Berth n’avait pas parlé autant sa langue maternelle depuis ces trois années passées. L’autre jour, avec le crétin armé, il n’avait pas eu envie d’en dire un seul. Si son père ne lui avait pas demandé (et puisqu’il n’était pas possible de faire autrement pour le cas), jamais des mots français n'auraient eu priorité dans son cerveau. Il n’avait pas oublié sa langue, c’était impossible, mais il avait oublié le son que sa voix avait avec ces mots là.

— Un ours nous a harcelé durant deux jours, dit-elle en tremblant.

Berth lui sourit.

— Il ne viendra plus maintenant. Si c’est le cas, nous avons des chasseurs d’ours avec nous. Vous n’avez plus rien à craindre.

Berth expliqua à Anuqiak que Nanuk était dans le coin.

— Je ne l’ai pas senti. Il doit être parti.

Le chef regarda l’horizon

— Nous avons suivi les traces, mais la femme allait n’importe où. Elle tournait en rond. Nous couperons ici. Nous ne sommes pas très loin des chiens.

La fillette accepta d’être mise sur les épaules d’un des hommes. Elle posa sa tête sur la capuche de celui-ci et s’endormi au bout de quelques pas. La femme puisait dans le peu qui lui restait pour avancer. Elle regardait Berth, sans pour autant se rassurer. Elle a passé plusieurs jours, perdue au milieu de nul part et c’est des mots en Français qu’elle entend et qui viennent à son secours. Il dit être Inuit, il parle leur langue, il appelle l’un d’eux « père ». Cela devrait lui suffire. Elle glissa, Berth l’empoigna.

— Nous y sommes presque, voulez-vous que je vous aide ?

— Non. J’ai glissé, c’est tout.

Anuqiak arrêta le groupe. Il monta sur une petite butte.

— Mon fils, rejoins-moi, Les autres, attendez. Il ne faut pas que l’enfant et la femme voient cela.

Berth sut très vite de quoi il s’agissait.

— Voilà pourquoi Nanuk a arrêté de les harceler, commenta Berth.

Il y avait un autre campement et deux cadavres, le ventre ouvert et vide d’entrailles.

— Les deux hommes n’ont rien vu venir. Il a suffit de deux coups de patte, continua-t-il.

— Ce sont des blancs. Ils étaient armés pourtant, dit le chef en descendant jusqu’à leur niveau.

Il y avait tout autour du matériel militaire. Une radio, de la nourriture en boite…

— Nanuk est venu au moins deux fois pour les dévorer, constata Anuqiak. Je ne sais pas ce que ces gens faisaient par ici, mais je crois que nous ne devons toucher à rien. Il faut que ceux qui vont partir à leur recherche, les trouvent comme nous les trouvons actuellement.

— Peut-être cherchaient-ils le couple et l’enfant ?

— Alors, ils n’étaient pas très bons pour suivre les traces. Je crois que leurs intensions n’étaient pas pacifiques.

— Pourquoi dites-vous cela père ?

Le chef montra les différents objets éparpillés par l’ours.

— Regarde, fils. Nous sommes partis à la recherche des survivants et nous avons prévu de la place sur nos traîneaux et de la nourriture supplémentaire. Il n’y a rien de tout ça ici. Juste ce qu’il faut pour ces deux hommes. Et pourquoi que deux hommes ? Ils venaient terminer ce que l’avion avaient omis de faire.

— C’est juste, père.

— C’est juste et cela me désole.

— Pourquoi cela ?

— Parce que si ces gens ont une importance quelconque et qu’ils sont en danger, alors nous ramenons ce danger auprès des nôtres. Mais, nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas humains que nous n’en sommes pas responsables.

 

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D
<br /> Je crois savoir depuis un reportage l'autre jour que tous les Inuits ne sont pas comme ça, mais cette sincérité et cette nature pure me font rêver...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Le terme Inuit correspond à un ensemble de peuplades qui part de la Sibérie jusqu'au Groenland. Il y a les Yakouties, les Esquimaux, les Dolganes etc. Il y a plus de 26 communautés différentes<br /> rien qu'en Europe. Le clan d'Anuqiak est un peu particulier car le grand-père de celui-ci a fréquenté les terres basses et s'est "mélangé" avec des descendants de Hurons. La culture de ce clan<br /> est donc un mélange entre la sagesse des peuples du nord et la détermination de ceux du sud auxquels nous pouvons ajouter quelques épices à la sauce Berth L'Eunuque.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Une jolie conclusion...<br /> Mais me voilà à nouveau tout inquiète. Que va t-il arriver encore ? Vivement ce soir.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Etre humain, c'est ce sentir responsable de tout ce qui vit, telle pourrait-être la devise des Inuits.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Ah quelle grandeur d'âme ces humains...ns sommes bien peu de choses à côté...!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ils ont des valeurs auxquelles ils croient et qu'ils ne dérogent pas, quelque puisse être les situations.<br /> <br /> <br /> <br />