Un éclair blanc

Publié le par L'Eunuque

— Va-t-elle avoir mal ?

La vieille regarda méchamment le jeune homme et lui planta le pic sur le dessus de la main droite.

— Mais, vous êtes folle !

— J’ai répondu à ta question du mieux que j’ai pu. Traites-moi encore de folle et c’est ta gorge que je vise la prochaine fois et ne te crois pas plus fort parce que tu es un homme.

— Excusez-moi, la vieille, de vous avoir traitée de folle.

Elle le frappa avec le dos de sa main.

— Excuses-toi encore et ça ira mal.

Berth abandonna. Plus il voulait sympathiser avec elle, moins il y arrivait. Il se résigna à laisser la fillette avec l’infirmière du clan. Elle ne semblait pas inquiète pour autant, mais elle serrait très fort un jouet cassé.

— Attends un instant, fils d’Anuqiak. Dis à ton père, que l’homme aux deux jambes brisées va mourir. Nous ne pouvons plus rien faire. Son sang est sali de la pourriture de ses os cassés. Nous aurions pu, si nous l’avions trouvé plus tôt, et encore, je ne suis pas certaine. Il va partir bientôt, que sa femme commence les prières des morts.

— Ce sont des étrangers, ils ne procèdent pas comme nous.

Elle haussa les épaules.

— Qu’elle fasse comme le demandent ses traditions. J’ai dis, moi, ce que j’avais à dire. Sort, maintenant, et ne sois pas inquiet, la fillette n’aura pas mal. Je ferai ce qu’il faut… comme toujours.

Entre deux bourrasque de vent froid, Berth réussi a atteindre la case du chef, qui avait légué à ces hôtes. Il trouva la femme, silencieuse, tenant ma main de son mari qui n’avait pas repris connaissance depuis son arrivée au camp. Elle tourna à peine la tête vers celui qui entrait.

— Vous devriez vous reposer, insista Berth.

— J’ai essayé mais je n’y arrive pas. La médecine de cette vieille femme n’a pas fait grand-chose. Il semble plus apaisé, mais la fièvre est toujours là et il ne se réveille pas. Je repense à ce que j’ai fait en voulant le transporter. J’ai surement commis une erreur.

— Vous avez voulu agir et vous avez fait ce qu’il vous semblait juste de faire. Vous n’avez pas à vous en vouloir.

La femme se retourna vers le jeune homme. Elle voyait pour la première fois son visage d’européen, avec sa barbe fourni, sa crinière longue attachée en arrière par une cordelette tressée. Le visage buriné par la violence combinée du froid et de la lumière empêchait de lui déterminer un âge proche de sa réalité. « Il dit être Inuit, se répète t-elle encore, comme une réflexion obsessionnelle ». En tous cas, il était avec ce clan depuis assez longtemps pour qu’elle envisage de le croire.

— Nous aurions du rester près de l’avion. Les secours nous auraient peut-être déjà retrouvé.

« Et ils vous auraient tués, pensa Berth sans le dire ».

— Je suis inquiète pour Vincent, j’ai peur de le perdre. Vous savez vous, vous tous ici de ce qu’il en est. Il… il va mourir, c’est ça ?

Berth s’approchât d’elle.

— Il va mourir, oui. Ses blessures ont empoisonné son sang. Personne ne peut plus rien.

La remarque de Berth fut coupée par les pleurs de la jeune femme.

— Je ne suis pas prête à l’accepter, nous avions tellement de chose à faire ensemble. Vous savez ce voyage vers l’ouest canadien était un nouveau poste pour lui, un nouveau départ. Alors, je ne suis pas prête à l’accepter.

— Cela se comprend.

Elle embrassa le front brulant de son mari.

— Ce n’est peut-être pas le moment d’en parler, mais que s’est-il passé avec l’avion dans lequel vous étiez. Qu’est-ce qui, d’après vous, a fait qu’il s’écrase ?

Elle secoua la tête, comme ci le souvenir de se qu’elle en avait n’était pas assez cohérent pour en parler.

— Je dormais juste avant, avant que l’avion chute et s’écrase. La seule chose dont je me souvienne, c’est que la cabine passages a été subitement envahie d’une lumière blanche puissante, comme un flash mais interminable. L’avion a vibré de plus en plus fort. Il a fait plusieurs pirouettes, il partait dans tous les sens et les moteurs se sont arrêtés. Quelqu’un a crié : « Mon dieu, ils sont tous de venus fous » et la chute de l’appareil  a commencé. Il y avait de la résignation, presque de la dignité à accepter notre sort. Et les moteurs sont repartis en pétaradant. Le commandant a cherché à trouver un endroit pour atterrir mais le contact avec le sol a été violent. La suite n’a pas vrai d’importance.

Berth lui prit la main.

— Comment expliquez-vous cette lumière blanche ?

— Je ne me l’explique pas, mais…

— Mais quoi ?

— Dans ses rares moments de conscience, Vincent m’a affirmée que… c’était une déflagration nucléaire.

— La presse, des derniers jours, a t-elle laissé supposer qu’il y a avait un conflit imminent ?

— Jeune homme, nous sommes en pleine guerre froide. Les Russes et les Américain se tirent la bourre sans arrêt à ce sujet.

— C’est vrai.

Il se dégagea de la femme et se préparait à sortir.

— Je voulais vous dire aussi. La vieille peut aider votre mari à partir dignement, sans douleur, tant qu’il est encore temps.

— Mais… mais c’est affreux ce que vous me proposez là, s’offusqua t-elle.

— C’est juste humain. Ce qui l’est moins, c’est d’imposer une souffrance qui mènera, inéluctablement vers la mort. Réfléchissez à cela.

Bert sortit de la case d’Anuqiak.

 

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D
<br /> Pas de débat de mon côté je suis d'accord... ces bombes on saura pourquoi elle ont explosé au moins ! Bonne fin de soirée :-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oui, mais ce n'est la chose la plus importante.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Guerre froide au pays du froid ! ils ne peuvent pas lutter ...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Il paraît que les battements d'ailes d'un papillon peuvent provoquer un raz de marée à l'autre bout du monde.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Et nous voilà en plein dans l'actualité avec cette possibilité de "mourir dignement"...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Les peuples primitifs avaient-ils dépassé le stade de la réflexion ? Je ne veux lancer aucun débat…<br /> <br /> <br /> <br />