Les lutins de la Gare du Nord
Malgré la chaleur, dans le grand hall de la Gare du Nord, L’Eunuque gardait son chapeau sur la tête. Sa gabardine grise était ouverte sur une chemisette blanche. La sueur perlait sur les poils poivre-sel de son torse, lui renvoyant l’odeur parfumée du déodorant du matin. Il regarda le cadran de la grande horloge et se dit qu’ils n’allaient pas tarder. Trois jours de suite, ils s’étaient pointés à la même heure, réglés sur le métronome de leur petit estomac. Aux pieds de l’homme au chapeau, un sac en plastique contenant du pain, des fruits, du jambon, des barres de céréales et quelques friandises.
L’Eunuque replia son journal car il les voyait enfin. Ils n’étaient que deux aujourd’hui, un peu plus sales chaque jour, la petite n’était pas avec eux. Peu importe, la stratégie semblait être la même. Pendant qu’un des deux passaient autour des tables du café de la gare et quémandait une obole, l’autre attendait sagement que le seul vendeur et serveur du petit bar sorte enfin pour chasser l’intrus. Alors, tout allait vite, celui qui faisait le gué passait derrière le comptoir et volait tout ce que ces petites mains pouvaient prendre, avant que l’adulte ne revienne. Les deux enfants se donnaient alors rendez-vous un peu plus loin, longeaient le quai N°1 jusqu’au bout avant de disparaître. Deux fois de suite L’Eunuque les a perdu. Ils s’évanouissent comme par magie. Mais aujourd’hui, Berth les a devancés. Il a suivi le quai en face de celui-ci et s’est légèrement dissimulé derrière le poste de contrôle. Les deux enfants marchaient d’un pas sûr. Le butin du jour semblait être deux gros sacs de Madeleines. Ils avançaient dignement et ne touchaient pas à leur déjeuner. L’Eunuque compris enfin par où ils passaient. Ils se glissaient derrière une palette de cartons apparemment vides puisqu’il pu voir cette palette bouger et se plaquer sur le mur, bouchant l’entrée de la cache.
Trois jours auparavant, il prenait son journal, le deuxième de la pile, en tendant sa pièce de deux euros il se rendit compte que le libraire ne le regardait pas mais scrutait quelque chose, les bras croisés. Ce dernier fit signe à son seul client du moment de regarder dans une certaine direction.
— Il regarde et il va voir. Les trois petits merdeux, ils sont là tous les jours depuis une semaine. J’ai remarqué leur petit jeu. Tiens, les deux autres font la manche puis… regardez le troisième est entrain de piquer derrière le bar. Ah la la, y’en a de plus en plus dans cette gare. Des roumaines crades qui vous harcèlent aux SDF avec leurs putains de clébards crasseux. Les flics les chassent mais ils reviennent toujours. Mais, ceux là ils sont pas comme les autres. Y a un petit négro, un jaune et une mignonnette (Traduisez : blanche).
L’Eunuque les observa, les suivit, mais les perdit ce jour là.