Sâdhu a dit : gardez le bras en l’air !

Publié le par L'Eunuque

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Mohamed avait accepté un nouveau repas, et ce malgré le fait qu’il n’avait absolument pas faim. Ça ne le dérangeait pas d’être installé au milieu des indigents de basses castes. Lui s’en fout. Il est musulman. Les impurs sont ceux qui mangent du porc et cette secte ne distribuait que des repas végétariens. Il y avait du feu, des percussions dissonantes, pour qui n’est pas habitué à la musique indienne. Des chants répétitifs, des sortes de mantras en Sanskrit que peu de personne semblent comprendre.

Berth passait d’un groupe à l’autre, observant, ne répondant à aucune invitation. Il y a des Indiens, bien sûr mais aussi des occidentaux, les évadés de Woodstock, comme il les appelle. Ceux qui sont dans une recherche spirituelle attendu qu’elle soit accompagnée de Hasch, qu’on fume en trouvant tout merveilleux : les flammes qui crépitent et qui se mêlent aux étoiles, les trois pas de dansent de ceux qui semblent en transe et connecté avec les éléments et qui finissent par s’écrouler sous les applaudissements des autres trop imbibés pour pouvoir se lever. Il y en eut même un qui s’est étalé dans les flammes que Berth dans un reflexe, plus que dans une envie réelle de lui venir en aide, a sorti en l’attrapant par sa tignasse crade et en le propulsant en arrière.

Une jeune femme, le regard vitreux, est venue le voir pour lui signifier qu’il ne fallait pas qu’il s’inquiète parce que un bon Karma permet d’être ignifugé. Berth constata que celui-ci n’avait pas dû terminer sa formation car il sentait le cramé.

Il continua sa « promenade » au milieu de toute cette faune sans avoir pour elle le moindre préjugé.

Un homme assez âge se planta devant lui, il était barbouillé de cendre et complétement nu. Une longue barbe, quelques signes kabbalistiques sur le font et surtout le bras maintenu en l’air. Le membre était rachitique, raide comme un piquet et difforme. Berth voulu le contourner, mais celui-ci fit un pas de côté.

— Très bien, dit Berth en Hindi, vous avez quelque chose à me transmettre.

— Toi, tu es Français, dit-il dans un Français parfait.

— Comme vous apparemment.

— Oui. Je suis Français de naissance et Sâdhu de choix de vie. J’ai fait vœu de renoncement, je vis de mendicité, mais ne demande jamais plus que ce dont j’ai besoin. Et peut-être aimerais tu savoir pourquoi j’ai le bras en l’air ?

— Non.

Cela coupa le Sâdhu dans son élan. Il en donna tout de même l’explication tout en laissant passer son compatriote.

— J’ai fait le choix, en plus d’être Sâdhu, de ne plus jamais poser mon bras le long de mon corps. Cela fait 15 ans que mon bras et en l’air. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

— Rien, sinon que n’avez qu’une seule main pour vous gratter le cul et que c’est sans doute suffisant.

Il le contourna définitivement et se planta face à une sorte de cérémonie. Quelqu’un lui lança une pierre sans violence, juste pour attirer son attention. C’était une femme d’une quarantaine d’années affichées. Elle tenait un appareil photo et tout comme Berth elle dénotait avec l’ensemble.

— Baissez-vous, ou bougez vous ou venez vous asseoir à côté de moi, dit-elle en anglais.

Berth resta quelques secondes en arrêt.

— Vous ne parlez pas anglais… ?

— Je vous ai compris, je parle anglais.

Il opta pour la troisième proposition et vint s’asseoir à côté d’elle. Elle le regarda à peine et mitrailla. Elle eut u doute qu’elle exprima.

— Ça ne donnera rien, il n’y a pas assez de lumière et je n’ai pas pris des pellicules de sensibilité adaptée.

Elle se leva.

— On bouge ? Je vous emmène avec moi, ça m’évitera de vous retrouver devant. Je m’appelle Laureen.

Elle lui tendit une main qu’il serra et fut tiré pour l’obliger à se relever. Il la dépassait de plus d’une tête. Elle attendait visiblement quelque chose.

— Vous appelez comment ?

— Berth.

— Bien. Je ne vous oblige pas à venir avec moi.

— Je ne crois pas que vous le puissiez de toute façon.

— C’est vrai.

Elle eut un sourire gêné et se sentit obligé de donner des explications que Berth n’attendait pas.

— Je vous ai vu et j’ai compris que vous dénotiez avec le reste des occidentaux. Je me suis permise de vous… enfin…

— Tout va bien, Laureen, vous ne m’avez pas agressez.

Elle lui désigna un endroit.

— Il font du bon thé, là-bas, voulez-vous que nous en buvions un ? C’est un peu à l’écart des percussions qui commencent à me filer un mal de crâne terrible. Puis, je n’ai pas pris ma Nivaquine.

— D’accord.

Et il la suivit. Ils durent parfois enjamber quelques jeunes affalés dans les brumes nirvaniques. Ils s’installèrent et Lauren demanda deux thés sans « pavots », donc sans effet euphorisant.

— Vous êtes de passage, pas vrai ?

— Oui.

— Moi aussi. J’ai dégoté un contrat avec National Géo. Je suis assez contente, c’est mon premier reportage officiel. J’étais serveuse à Boston. Je suis venue plusieurs fois en Inde, j’avais fait plusieurs clichés qui ont plus et me voilà ici.

Elle but un peu de son thé en espérant que Berth continue en expliquant ce qu’il faisait en Inde. Comme ça ne venait pas elle lui demanda.

— Vous êtes ici depuis longtemps.

— En Inde ? Depuis trois ans maintenant. J’habite à Delhi… officieusement.

— Trois ans ?! Apparemment vous avez résisté.

— Comment ça ?

— Vous n’avez pas la barbe et les cheveux longs. Vous n’êtes pas déguisez en Baba cool. Vous ne vous baladez pas tout nu avec un bras en l’air. Les tentations sont grandes pour ceux qui se cherchent.

— Peut-être que je ne me cherche pas.

— Vous vous êtes trouvé ?

— Je n’en ai sans doute pas besoin.

Elle eut un regard panoramique pour la fête.

— Se trouver ou se perdre aussi. Quel occidental pourrait se trouver dans un bordel pareil. A moins d’être Indien. Plus je visite ce pays moins je ne le comprends. Sans doute est-ce cela qui m’attire. M’attire et m’effraye aussi.

Berth termina son thé et se leva, cela surpris Lauren.

— Je vous ennui, c’est ça.

— Non, mais je vais continuer seul à visiter cette fête.

Berth s’éloigna. Lorsqu’il fut assez loin, elle prit le temps d’ouvrir le passeport qu’elle venait de dérober dans la poche de Berth. La photo correspondait mais pas le nom, de même qu’elle doutait qu’il fut citoyen Britannique.

— Je crois qu’on va se revoir bientôt, Berth, ou qui que vous soyez.

 

 

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S
<br /> Je ne dirais rien sur Berth et Laureen ..................!<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Car votre silence en dit plus long encore !<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Ah j'aime bien cet épisode surréaliste, l'homme le bras en l'air, et tout le reste, et Berth qui semble planer là dessus.<br /> Mais la réalité va le rattraper avec cette histoire de passeport. :)<br /> Pas prudent Berth. Pas normal qu'elle ait pu le voler ainsi.<br /> Sauf s'il l'avait voulu.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Vous verrez, dans l'épisode suivant, qu'il s'en fout un peu.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Ah, c'est fort intéressant ! :) Bonne fin de week end<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Bon début de semaine à vous.<br /> <br /> <br /> <br />