Un nouvel ami

Publié le par L'Eunuque

Anuqiak regardait l’horizon. Une fumée noire mêlée à la vapeur blanche de l’évaporation de la glace donnait, à ce paysage qu’il connaissait depuis qu’il avait ouvert les yeux la première fois, une idée de ce que sera le monde la veille où il ne sera plus.

— Les Territoires Obscures arrivent, dit-il pour lui-même.

Berth était à côté de lui et l’entendait à peine. Il ressentait la même chose. La quiétude de cet univers qu’il appréciait depuis trois ans déjà, était bouleversée, saccagée. Cet endroit qui n’avait pas même connu une agression humaine par un autre homme, comptait désormais un génocide, une explosion atomique et la puanteur des corps calcinés venait jusqu’ici salir le moral du jeune homme.

Un des hommes libérés vint à la rencontre du père te du fils.

— Vois-tu, chef Anuqiak, nous ne pouvons rien contre leur force destructrice. Ils arrivent même à mettre le feu à la glace. Ils ont apporté avec eux l’enfer, et la mort leur obéit. Nous avons décidé de partir, de reconstruire ce qui peut l’être.

Anuqiak ne répondit pas de suite. Il se retourna.

— Votre décision est sage, dit-il enfin.

Il appela Yanak. Celui-ci les rejoint.

— Yanak, dit leurs où les chiens et les traîneaux ont été mis en garde. Votre groupe ira et vous prendrez tout ce dont vous avez besoin pour recommencer une vie. Laissez cependant un équipage, pour que quelqu’un de nous revienne.

Yanak ne discuta pas la décision du chef, car c’était un chef.

Pendant que Yanak s’en retournait avec l’homme, Berth demanda :

— Pourquoi ont-ils mis le feu ?

— Ils ont attaqué ceux qui nous observaient. Bientôt, se sera nous. Trois humains se remarquent moins qu’une vingtaine. Ces hommes libres doivent partir.

Le silence s’installa à nouveau.

— Que devons-nous faire père ?

— Ce que nous avons dit, nous le ferons avec l’aide des esprits. Mais, toute collaboration avec les esprits à un prix. Ils viendront me prendre ici, Yanak sera le nouveau chef et toi, toi mon fils, tu continueras ta route. C’est ainsi.

— Père, je ne peux pas accepter ça.

— Personne ne te le demande. Je ressens ta tristesse et tu voudrais que le destin fasse en sorte que tu ne le sois pas. C’est un sentiment égoïste. Jamais ma vie n’a eu autant d’importance que ce pour quoi l’on m’a désigné pour chef. Je sais qu’il est difficile pour toi, qui viens aussi d’un autre monde, de comprendre cela. Mais, je sais aussi que je peux compter sur toi pour ne pas mettre en péril ce destin. Tu m’emporteras avec toi, vers l’ouest et mon esprit te suivra. Maintenant, rejoignons les autres.

 

Les pales de l’hélico soufflaient sur le sol, soulevant un mélange de glace et de gravier. Il s’amusait à pister le clan Anuqiak, sans trop savoir où il pouvait être. Les trois Inuits étaient à l’abri, sous l’aplomb d’un rocher, caché dans l’ombre de celui-ci. Berth savait qu’ils étaient en mauvaise posture. Que si l’hélico lâchait l’une de ses bombes, comme ça, simplement pour le plaisir de détruire, les trois hommes grilleraient sur place.

— Cette oiseau de métal peut faire pleuvoir le feu, dit calmement Yanak.

— Il joue avec nous, comme Nanuk joue avec sa proie. Sauf que Nanuk ne prend aucun risque. Ces blancs sont stupides.

Anuqiak attira son fils près de lui.

— Fils, parle-moi de cette chose qui flotte sur le vent qu’elle fabrique. Pourquoi se soulève t-elle aussi facilement ?

Berth réfléchit à savoir comment simplifier les aspects techniques de l’engin.

— La grosse hélice le soulève, la petite le dirige.

— Celle qu’il a au bout de sa queue ?

— Oui.

L’hélico s’était un peu éloigné. Anuqiak en profita pour l’observer à nouveau.

— Cela paraît si léger, si fragile et pourtant il soulève avec lui le poids de la mort.

Anuqiak ramassa une pierre grosse comme deux fois son poing. Il la soupesa et sembla satisfait de celle-ci. Puis, il lui parla doucement un instant.

— Donc, fils, si je touche et casse la petite hélice qui tourne, la chose ne pourra plus être dirigée ?

— Père, il ne vole pas très haut, mais assez pour qu’on ne puisse pas l’atteindre.

— Les esprits nous y aiderons.

Au loin, des nuages s’amoncelaient.

— D’ailleurs, les voilà.

Un vent tourbillonnant et rasant et qui venait des terres, balayait la surface du sol. Avec le bruit de l’appareil, on l’entendait sifflet. Sans savoir ce qui se passait au dessus d’eux, Anuqiak se positionna plus en avant de l’aplomb et attendait avec sa pierre. L’hélico approchait, luttait pour retrouver une nouvelle stabilité que la soudaineté du vent lui avait fait perdre. Il devait se retrouver face à lui, donc de dos par rapport au trois hommes et descendre assez bas pour effectuer, ensuite, une ascension qui lui permettra de contourner l’obstacle. Anuqiak sortit enfin. Le vent et hélico lui renvoyaient toutes sortes de poussière. Il couvrit son visage entièrement, ferma les yeux et lança sa pierre. Il replongea sous le rocher de suite après avoir entendu le bruit de son projectile atteindre l’hélice en question. L ‘appareil fit un drôle de bruit. Le rotor lâcha définitivement et l’hélico commença une danse folle sur lui même, passant au dessus de la cache des trois hommes. Berth pu voir le visage paniqué des occupants de l’engin.

— Partons vite maintenant, cria Anuqiak.

Une course folle s’engagea car moins d’une minute après, on put entendre l’hélico se crasher. Ce qu’il transportait explosa violemment, mais la diffusion du produit se fit autant en hauteur qu’en surface. Les trois hommes étaient poursuivis par un tapis de feu qui se diffusait rapidement, ralenti, cependant, par la force du vent. Berth se rappelait d’une fissure, plus loin. Ils y plongèrent à temps pour voir passer le souffle incandescent au dessus de leurs têtes. Cette cavité, qui était gelée se remplit d’un air chaud, pas désagréable.

Chacun attendit qu’un début de calme fût retrouvé avant de parler.

— Père, vous saviez pour la tempête ?

— Non. Les esprits me l’ont peut-être dit, mais je ne les entends pas toujours.

— Vous semblez doutez.

— Non, car ça m’arrange de le croire. Laissons les choses qui appartiennent au passé dans les limbes de celui-ci. Si nous cherchons une explication à tout, nous nous enfermons et nous oublions de vivre le présent.

Un bruit métallique les fit tous les trois se retourner en même temps. Dans un renfoncement obscur apparu le commencement d’une arme. Yanak, discrètement et lentement attrapa son couteau.

— Laisse cela dans son fourreau, Yanak, dit Anuqiak. C’est un ami… mais il ne le sait pas encore.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
<br /> J'adore le coup de la pierre qui crashe l'hélico. Pour un peu je sauterais dans mon fauteuil en criant : "Bien fait, na !"<br /> J'ai gardé une âme d'enfant...<br /> Curieuse du nouvel ami aussi.<br /> Ouf, je n'ai pas à attendre. :)<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Une pierre qui vient du fond des âges et qui rivalise avec les dernières technologies. J'aime bien, moi aussi.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Qui est ce nouvel ami ? J'ai hâte de savoir! Voilà ce que c'est que le suspense ... Tu es devenu un maître !<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Être élevé au rang de maître par un professeur est un honneur que je n'espérais plus.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> C'est très étonnant. J'aime bien, cette poésie qui anime ce peuple. Et de devoir le quitter prochainement sera finalement, une vraie perte .<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> Il y a d'autres peuples et d'autres poésies.<br /> <br /> <br /> <br />