L’homme des bois

Publié le par L'Eunuque

Batiste tournait en rond dans le dortoir. Ses pas faisaient grincer le planché en bois.

— Batiste, tu nous donnes le tournis à faire les cents pas comme ça, râla Gérard.

ça fait trois jours et deux nuits qu’il est dans les bois.

— C’est parce qu’il est malheureux et qu’il ne veut voir personne.

— Mais, on est ses amis.

— On le connaît à peine, il n’est sans doute pas prêt à confier sa peine à… des étrangers. Arrête de t’inquiéter. Il va revenir, il sentira la charogne et il aura une faim de loup. Puis, on fera comme si il ne s’était rien passé et il nous en parlera quand il jugera que c’est le moment. Il ne peut rien lui arriver.

Patrick se leva d’un bon.

— Bon, moi je propose qu’on aille à la pêche.

— A cette heures ci ?

— Qu’est-ce qu’on n’en a foutre. On n’y va pas pour pécher mais pour fumer et picoler.

— Justement, je ne voudrai pas que l’autre le Glaude se doute de quelque chose.

Gérard se décida aussi.

— Allez, Marc sort les gaules et on y va.

— Moi, je reste, insista Batiste.

— Tu as l’air aussi bête qu’une Bigouden qui attend que son marin entre au port.

Batiste rougit.

— Bon, bah je vais à la pêche, alors.

 

La nuit était tombée. Berth revenait doucement vers le château. Il était fatigué. Même si les nuits n’étaient pas très fraiches, il avait eu du mal à dormir. Puis, les moustiques l’avaient bouffé. La faim était revenue cet après-midi, d’un seul coup avec force. Il n’était plus temps de se faire violence, de s’auto punir ni de se considérer coupable. Il était juste le temps de rentrer, mais pas devant tout le monde, donc de nuit. En passant sur le parvis arrière, il aperçu la petite lueur rouge d’une cigarette.

— Vous voilà de retour ?

Il ne répondit pas. Son retour n’incluait pas qu’il communique. Il voulu continuer son chemin.

— Attendez, je suis désolée pour l’autre fois, vous savez dans la bibliothèque.

— Qu’est-ce que ça peut faire ?

— Que je sois désolée ?

— Non. C’était il y a presque une semaine.

— Vous aviez disparu.

Il allait continuer, puis il se ravisa.

— Vous savez où je pourrai trouver quelque chose à manger.

— Oui, bien sûr, dit-elle en écrasant sa cigarette précipitamment, profitant de l’occasion de lui être utile.

— Venez avec moi.

Ils marchèrent un moment côte à côte sans parler.

— J’aurai besoin de me laver les mains.

— Il n’y a pas que les mains qui en auraient besoin.

Berth réussi, dans l’ombre à sourire.

— C’est vrai.

Ils entrèrent dans les cuisines grâce au pass dont disposait Marie.

— Servez-vous, pendant ce temps je vais vous chercher quelques affaires qui appartiennent à mon frère et de quoi vous laver.

Elle le laissa seul. Berth ouvrit les frigos, se jeta sur les restes de poulets froids qu’il trempa directement dans un bol de mayonnaise. Il englouti. C’était le premier moment agréable depuis ces trois derniers jours. Il avait vécu comme une bête. Terré dans une tanière, recroquevillé sur sa douleur. N’est-ce pas d’ailleurs ce que font les animaux malades ? Ils se cachent en attendant de guérir ou de crever. Il n’était pas guéri mais il n’était pas mort non plus. Maigre consolation. Il continua d’engloutir. Il s’aventura même à boire un verre de vin.

Marie revint.

— Si vous avez fini, nous pouvons y aller, je sais comment faire fonctionner les douches. Il m’arrive parfois d’y aller tard.

Berth allait dire : « Il paraît », mais il préféra la suivre.

— Vous avez l’air d’un homme des bois.

— C’est sans doute romanesque, mais ce n’est pas facile que de vivre dans les bois.

Elle ouvrit la porte des douches. Et alla tourner quelques manettes.

— Vous me donnerez vos affaire sales et…

Berth commençait à se déshabiller et c’est une fois torse nu que Marie fit volte face.

— Je… crois qu’il est préférable que je me retourne, non ?

— C’est vous qui voyez, dit nonchalamment le jeune homme.

— Alors, je préfère.

Et l’on pu entendre la douche couler. Marie alla en marche arrière, de façon ridiculement comique, vers le tas de vêtements sales. En tirant le pantalon, il en tomba une photo. Elle la ramassa.

— Où avez-vous eu cette photo, demanda-t-elle étonnée ?

— Je l’ai prise chez Napoléon.

— C’est votre grand-père dessus ?

— Oui. Par contre je ne sais pas qui est la deuxième personne.

— Moi, je sais.

 

(Ayant trouvé cet épisode un peu court, je vous en livre une deuxième à la suite).

L'accident

Ils pénétrèrent silencieusement dans le bureau de Simon Orfeuille. Marie ouvrit un des tiroirs du grand meuble qui servait de secrétaire et en sorti un album.

— C’est un album de photos et diverses choses que garde ma tante Madeleine, la sœur de mon grand-père. Il lui a retiré dernièrement parce qu’il pense que ça lui fait plus de mal qu’autre chose. Moi je pense que la pauvre femme a déjà atteint depuis longtemps le point de non retour.

Elle ouvrit l’album et le posa sur le bureau.

— L’homme qui est avec votre grand-père, c’est Adrien, le fils de Madeleine. Ma tante n’avait plus que son fils, son mari était mort jeune, puis il y a eu ce drame.

Elle tira d’une des pochettes de l’album un article de journal qui titrait : « Tragique accident de la route. Pour une raison indéterminée, le véhicule de Monsieur Adrien Vallençay, a quitté la route et a percuté un arbre en bordure de la Loire. Le véhicule a pris feu sous le choc, prisonnière des flammes, Mademoiselle Manique Bouvet qui accompagnait Monsieur Vallençay est décédée. Le conducteur, sous le choc a sans été projeté dans la Loire ; son corps n’a pas été retrouvé pour l’instant ».

— Ma tante espérait, tant que le corps de son fils n’avait pas été retrouvé. Il imaginait des scénarii où elle disait que celui-ci avait rejoint l’autre rive, mais sous le choc avait perdu la mémoire. Puis, un jour, deux ans plus tard, un squelette a été retrouvé dans une bouche d’évacuation d’une femme abandonnée. Les courants l’avaient déposé là. Il portait les vêtements d’Adrien, il avait son portefeuille, sa bague et le crane défoncé. L’enquête a conclut que c’était bien le corps d’Adrien. Il y eut enterrement. Ma tante, depuis a perdu la tête.

Berth sorti le deuxième article qui racontait l’histoire de ce cadavre retrouvé. Il rappelait les faits de deux ans plus tôt. Il y avait un encadré en marge de l’article.

« Destin tragique que celui du jeune Adrien Vallençay, qui venait tout juste d’épouser dans la plus grande discrétion, Mademoiselle Manique Bouvet avec qui il venait d’avoir un fils. De sources sûres, nous avons appris qu’ils fuyaient et non pas qu’ils partaient en Lune de Miel (déjà consommé). Qui fuyaient-ils ? La famille de Monsieur Vallençay ? Le Père de Manique, Paul Bouvet ? Ce dernier vit reclus depuis la mort de sa fille et a refusé de répondre à nos questions ».

— Qu’est devenu l’enfant, demanda Berth ?

— D’après mon grand-père, ce ne sont que des suppositions délirantes de journalistes.

— Mais, ils étaient mariés ?

— Probablement. Ecoutez, c’est une histoire qu’on n’aime pas trop raconter dans cette famille, de part l’aspect tragique. J’avais cinq ans lorsque le corps d’Adrien a été retrouvé. J’étais petite mais je me souviens des cris de ma Tante, j’en ai fait des cauchemars pendant longtemps.

La respiration de Berth était courte, son cœur tapait dans sa poitrine.

— Marie, l’article date d’il y a presque 16 ans. Mon grand-père travaillait ici et du jour au lendemain il quitte le château pour retourner dans sa Bretagne natale, d’où, pour une raison qu’il ne m’a jamais dite, il adopte un enfant : moi.

— Berth, vous n’êtes pas en train de dire que l’enfant d’Adrien ce peut être vous ?

Le jeune homme resta silencieux, il secoua la tête.

— Je ne crois rien. J’imagine seulement. Cet ensemble de coïncidences me ramène à cette possibilité. Lorsque j’étais dans les bois, j’en voulais au monde entier et même à mon grand-père de ne pas m’avoir autorisé à rester à ses côtés. Il savait qu’il allait mourir, peut-être qu’il voulait me préserver, mais peut-être aussi qu’il renvoyait le paquet à l’expéditeur histoire de dire : « Maintenant, c’est à vous de vous en occuper, prenez vos responsabilités ».

­— Je ne peux pas croire que votre grand-père vous ait considéré comme un simple paquet.

— Non, il m’aimait c’est certain, mais au final, qu’est-ce que ça change ? Que je sois le fils d’Adrien ou de personne c’est un peu pareil. Je ne suis pas à la recherche d’une famille. Je n’en ai pas eu besoin jusqu’à maintenant, je crois que je peux continuer à m’en passer. Une chose est certaine, aux yeux de la loi je suis orphelin et pas encore majeur : il va falloir que je réfléchisse à ça.

Berth retourna vers les dortoirs.

Marie referma l’album, puis l’ouvrit à nouveau. Elle relu l’article, puis secoua la tête en fermant les yeux, comme ci elle essayait d’évacuer une pensée qu’elle refusait mais qui voulait toutefois s’imposer. Elle feuilleta l’album et lu d’autres articles de presse sur les exploits sportifs d’Adrien. Sur la même page de l’un d’eux, un fait divers lié au club dans lequel son oncle évoluait. Un jeune homme avait été arrêté pour vol avec effraction de la caisse de la billetterie. Le jeune homme niait. Son père, exaspéré, avait demandé à ce qu’il soit placé en maison de redressement. Le jeune homme jouait dans la même équipe qu’Adrien. Il s’appelait Julien Ménard. Marie ne savait pas pourquoi, mais ce nom lui était familier, même si elle ne l’avait pas entendu depuis des années.

 

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N
<br /> Doublement gâtés héhé ! :)<br /> C'est bientôt l'heure de la suite !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Dans moins d'une heure, effectivement.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Et voila ! Putain pourquoi faut-il que le mec se retrouve torse-nu pour que la greluche se retourne en jouant les saintes-ni-touche ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Dommage pour elle, assurément. Elle est d'un milieu et d'une époque qui ne permettait pas cela.<br /> <br /> <br /> Ne reprochons pas à nos grands-mères d'avoir porté des culottes plutôt que des strings.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Oui on va savoir, en attendant, c'est deux pour le prix d'un ! PROMO 50% !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Promo exceptionnelle qui prendra fin ce soir et n'espérez pas en avoir d'autres, ça me bouffe le fond de commerce.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Deux d'un coup ! l'EUNUQUE N'EST JAMAIS RASSASIE ! il faut dire qu'on approche : on va savoir la vérité sur son origine !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Il reste quelques épisodes, mais nous approchons de la fin.<br /> <br /> <br /> <br />